L’histoire bégaie – La dette de l’Etat

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billet 1000 livres tournois 1715
Billet gravé de 1000 livres de la Banque royale du 1er janvier 1720 © www.cgb.fr

La création du papier monnaie

En 1715, l’année de la mort de Louis XIV, l’économiste John Law revint en France pour offrir ses services à Philippe d’Orléans le régent.
La situation financière du pays était dramatique. La dette de l’État français représentait dix années de recettes fiscales du Royaume, car l’ancien roi avait énormément dépensé dans les guerres et les constructions.

De plus, quelques dizaines de financiers s’étaient fortement enrichis aux dépens du royaume et étaient toujours à l’affût de quelques bonnes affaires. Les ministres et les personnalités influentes ne proposaient que des solutions de replâtrage.

Le Régent se décida alors de suivre les audacieuses théories de Law, qui semblaient lui permettre de régler le problème de l’endettement et de relancer vigoureusement l’activité économique du pays. John Law est autorisé à créer en 1716 la Banque générale et à émettre du papier-monnaie contre de l’or.
Son système consistait à remplacer la monnaie en métal par du papier-monnaie pour faciliter les transactions financières et réduire la dette royale qui était à un niveau désastreux après des années de guerre.

Son système connaît un grand succès et croît jusqu’à créer les premières émissions de titres boursiers.
Néanmoins la forte spéculation sur ces titres va conduire à la ruine du système entier et à une panique. Les gens n’ont plus confiance dans le papier-monnaie et cherchent à récupérer leur or.
Quatre ans plus tard, en décembre 1720, John Law, ruiné, est obligé de fuir le royaume. Sous la protection officieuse du Régent, Law se réfugie à Venise.
Son système a appauvri ou ruiné 10 % environ de la population française, principalement les riches actionnaires.

Quelques autres par contre, bénéficiant de renseignements de première main, purent s’enrichir considérablement.

Cependant, son système, s’il a fait perdre confiance dans le papier-monnaie et dans l’État, a paradoxalement assaini la dette de celui-ci en la faisant prendre en charge par de nombreux épargnants.
L’économie du pays a été préservée en un temps où le pays était paralysé par l’endettement généralisé et la pénurie de liquidités. Les agents économiques ont été en effet libérés de l’endettement chronique, et l’inflation a permis d’alléger les dettes privées d’au moins 50 %. Les grands perdants ont été les rentiers.

Origine de la banqueroute

Le terme banqueroute nous vient de l’expression italienne banca rotta (« banc cassé ») : en Italie durant l’époque médiévale, les financiers officiaient dans les marchés où ils s’installaient derrière une table de comptoir qu’on appelait à cette époque la banca (le banc, à l’origine du mot « banque ») qui leur permettait d’accueillir leurs clients et d’y négocier leurs affaires.
Lorsqu’un banquier faisait faillite et n’était plus en mesure de régler ses dettes ou s’il s’adonnait à l’usure, il était alors déclaré fallito (insolvable, en faillite) et ne pouvait plus exercer son métier.
Le banquier déchu devait alors rompre publiquement sa banca (bancarotta, banqueroute, bankruptcy) pour montrer aux habitants son interdiction d’exercer toute activité financière : l’expression banca rotta finit par se répandre dans le langage courant comme celle traduisant la situation d’insolvabilité d’un banquier.

Aujourd’hui, les banquiers peuvent dormir sur leurs deux oreilles, c’est-à-dire sur le matelas de l’argent qu’ils ne possèdent pas : ils ont le droit de prêter dix fois plus d’argent qu’ils ont en réserve parce qu’il y a beaucoup moins de billets en circulation que d’argent sur les comptes.
D’où ce vertige métaphysique : que représente l’argent qui circule dans le monde ? Où est le virtuel, où est le réel ?
billet 10 Ecus d'espèce 1718
Billet de la Banque générale pour 10 écus. Ce billet, daté du 20 juin 1718, porte la signature de John Law. © Musée de Poitiers

La fin du système vue par un contemporain (extrait du Journal de Barbier, 1720)

 » Hier mercredi, 17 juillet, la rue Vivienne fut remplie de quinze mille hommes, dès trois heures du matin. La foule fut si considérable qu’il y eut seize personnes d’étouffées avant cinq heures. Cela fit retirer le peuple. On en porta cinq au long de la rue Vivienne ; mais à six heures on en porta trois à la porte du Palais-Royal. Tout le peuple suivait en fureur ; ils voulurent entrer dans le palais, qu’on ferma de tous les côtés. On leur dit que le Régent était à Bagnolet, qui est une maison de campagne de Mme la Régente ; le peuple répondit que ce n’était pas vrai, qu’il n’y avait qu’à mettre le feu aux quatre coins et qu’on le trouverait bientôt. C’était un tapage affreux par tout ce quartier-là. Une bande porta un corps mort au Louvre. Le maréchal Villeroi leur fit donner cent livres. Une autre bande se jeta du côté de la maison de M. Law, et ils cassèrent toutes les vitres ; on fit entrer des Suisses pour la garder. Pendant ce temps, M. le Régent avait peur ; on n’osa pas faire paraître de troupes ; Rocheplatte, un de ses officiers de garde, avait fait entrer cinquante soldats. Quand ils eurent pris leurs mesures en dedans, à neuf heures, ils ouvrirent leurs portes, et en un moment les cours furent pleines de quatre à cinq mille personnes. M. Le Blanc, secrétaire d’Etat de la guerre, y vint avec une garde de gens déguisés. M. le duc de Tresmes, gouverneur de Paris, y entra ; tout le peuple entoura son carrosse ; il jeta de l’argent, même de l’or ; et il eut ses manchettes déchirées. M.Law y vint aussi dans son carrosse, dans la grande cour.
Quand son cocher vit cette populace, il commença à dire qu’il faudrait faire pendre quelqu’un de ces Parisiens. Cette insolence anima le peuple ; on ne lui fit pourtant rien dans le palais, mais il sortit seul avec le carrosse. Une femme tenant la bride de ses chevaux lui dit :  » S’il y avait quatre femmes comme moi, tu serais déchiré dans le moment.  » Elle avait perdu son mari. Il descendit, et lui dit :  » Vous êtes des canailles !  » Le peuple le suivit, brisa le carrosse, et maltraita si fort le cocher… qu’il mourra, dit-on, aujourd’hui… Il ne s’en est guère fallu qu’il n’y ait une sédition entière… On a enterré des gens morts et cela s’est apaisé. Law voulait sortir, mais on l’en empêcha. Il est demeuré dans le Palais-Royal pendant huit jours sans sortir. Le Régent s’habillait pendant ce fracas ; il était blanc comme sa cravate, et ne savait ce qu’il demandait… Depuis ce jour-là, la banque n’a point été ouverte, et l’on ne paye nulle part, en sorte que l’on se passe d’argent à grand peine. Et pourtant on est si accoutumé au luxe et au plaisir… que malgré la misère générale où on est (puisque dans les meilleures maisons, il n’y a pas un sol, et que la circulation des choses nécessaires à la vie et à l’entretien, se fait par crédit, tout le monde crie et se plaint), cependant je n’ai jamais vu un spectacle plus rempli et plus superbe qu’hier, mercredi 20 novembre, à l’Opéra… Il est impossible que le Régent, en voyant tout cela, se repente, ni soit touché de tous les maux qu’il fait.  »