Grèce III . Une victoire ou un désastre de l’Allemagne ?

Partager

merkel1
Source AFP

Les voix sont nombreuses en Allemagne pour qualifier ce succès de « désastre » diplomatique

Alors que Berlin semble avoir imposé la plupart de ses exigences à la Grèce, les voix sont nombreuses en Allemagne à qualifier ce succès de « désastre » diplomatique.

« En un week-end, le gouvernement allemand a détruit plusieurs décennies de diplomatie », accusait lundi l’hebdomadaire Der Spiegel sur son site internet, déplorant un « catalogue des horreurs » destiné à « humilier la Grèce ».

Angela Merkel, régulièrement surnommée la « Reine de l’Europe », et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble ont incarné une ligne dure décriée à l’étranger mais aussi dans leur pays.

« La ligne est mince entre sauver et punir la Grèce. Cette nuit, cette ligne a disparu », regrettait sur Twitter Mathias Müller von Blumencron, du quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Pour le Süddeutsche Zeitung, journal bavarois de centre gauche, « Merkel a réussi à raviver l’image d’une Allemagne laide, avare et au coeur sec, qui commençait seulement à s’estomper ». « Chaque centime d’aide à la Grèce que les Allemands ont tenté d’épargner devra être dépensé deux ou trois fois dans les prochaines années pour redorer cette image », s’inquiète le quotidien.

Deux comédiens allemands, avant même que ne filtre samedi le projet d’un « Grexit temporaire » envisagé par Berlin, raillaient l’égoïsme national dans une vidéo intitulée Nos précieux euros allemands.

Leurs personnages, deux Allemands baignant dans un luxe ostentatoire, échangeaient au téléphone leurs vues sur la Grèce, simple compilation de phrases puisées par les auteurs dans la presse allemande.
« Nous, les Allemands, devrions pouvoir dire si on veut continuer à payer ! » s’exclamait le premier, avant que l’autre ne rétorque : « Vendez vos îles, vous, les Grecs fauchés… et l’Acropole, aussi ! » « Cet été, nous, les Allemands, avons une occasion historique – de ne pas nous comporter comme des connards, pour une fois », concluait le sketch, regardé plus d’un million de fois sur YouTube.

Manque d’empathie

Il y a deux ans, un sondage de la BBC faisait pourtant de l’Allemagne le pays le plus populaire au monde, crédité d’une image positive – mêlant succès économique, conscience sociale et diplomatie – par 59 % des personnes interrogées. Mais pour Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères, la crise grecque a attisé le nationalisme et Mme Merkel n’a pas su persuader les Allemands de voir plus loin que leur portefeuille. La chancelière conservatrice, qui fêtera en novembre ses dix ans au pouvoir et bénéficie d’environ 70 % d’opinions favorables, « n’a pas argumenté ni agi comme un politique, mais comme une comptable », accuse M. Fischer.

« Nous avons gaspillé une immense cote de sympathie avec un désastre de communication », estime de son côté Constanze Stelzenmüller, analyste allemande de la Brookings Institution, groupe de réflexion basé à Washington.

Pour elle, la ligne allemande témoigne d’un manque d’empathie et aurait été mieux perçue si elle avait reconnu « que les Grecs ordinaires ont réellement souffert plus que d’autres en Europe », explique-t-elle. « Si quelqu’un avait communiqué la position allemande avec professionnalisme, nous ne serions peut-être pas regardés de manière aussi désagréable », renchérit l’historien et journaliste allemand Nils Minkmar sur Twitter.

Selon Mme Stelzenmüller, les négociations de Bruxelles « ont causé d’importants dégâts », notamment à « l’image de grande puissance inoffensive » que s’efforçait de construire l’Allemagne. Lors de ces pourparlers « incroyablement laids », Angela Merkel a semblé s’adresser à sa propre majorité, lançant au reste de l’Europe un ultimatum « à prendre ou à laisser », observe la chercheuse. Mais même avec une diplomatie plus habile, nuance l’analyste, le statut sans équivalent de l’Allemagne expose le pays aux reproches.

« C’est le prix du pouvoir », souligne-t-elle.