Un peu d’histoire locale pour ne pas oublier. Tome II

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Les conséquences que peut avoir une pandémie.

La peste noire de 1347 à 1351 qui succéda à la famine.

La peste bubonique sévissait de façon endémique en Asie centrale, et ce sont probablement les guerres entre Mongols et Chinois qui provoquèrent les conditions sanitaires permettant le déclenchement de l’épidémie. En 1346, les Tatars de la Horde d’Or attaquèrent la ville portuaire de Caffa, comptoir commercial génois, sur les bords de la mer Noire, en Crimée, et y établirent leur siège. L’épidémie, ramenée d’Asie centrale par les Mongols, toucha bientôt assiégeants et assiégés, car les Mongols catapultaient les cadavres des leurs par-dessus les murs pour infecter les habitants de la ville.

Le siège fut levé, faute de combattants valides en nombre suffisant : Gênes et les Tartares signèrent une trêve ; les bateaux génois, pouvant désormais quitter la ville, disséminèrent la peste dans tous les ports où ils faisaient halte : la maladie atteignit Messine en septembre 1347, et Gênes et Marseille en décembre de la même année. Venise fut atteinte en juin 1348. En un an, la peste se répandit sur tout le pourtour méditerranéen.

L’expansion du mal.

Dès lors, l’épidémie de peste s’étendit à toute l’Europe du sud au nord, y rencontrant un terrain favorable : les populations n’avaient pas d’anticorps contre cette variante du bacille de la peste, et elles étaient déjà affaiblies par des famines répétées, des épidémies, un refroidissement climatique sévissant depuis la fin du XIIIe siècle, et des guerres.

La peste noire se répandit comme une vague et ne s’établit pas durablement aux endroits touchés. Le taux de mortalité moyen d’environ trente pour cent de la population totale, et de soixante à cent pour cent de la population infectée, est tel que les plus faibles périssent rapidement, et le fléau ne dure généralement que six à neuf mois.

Depuis Marseille, en novembre 1347, elle gagna rapidement Avignon, en janvier 1348, alors cité papale et carrefour du monde chrétien : la venue de fidèles en grand nombre contribuant à sa diffusion.

Début février, la peste atteint Montpellier puis Béziers. Le 16 février 1348, elle est à Narbonne, début mars à Carcassonne, fin mars à Perpignan.

Fin juin, l’épidémie atteint Bordeaux. À partir de ce port, elle se diffuse rapidement grâce au transport maritime.

L’Angleterre est touchée le 24 juin 1348. Le 25 juin 1348, elle apparaît à Rouen, puis à Pontoise et Saint Denis. Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris. En septembre, la peste atteint le Limousin et l’Angoumois, en octobre le Poitou, fin novembre Angers et l’Anjou.

En décembre, elle est apportée à Calais depuis Londres. En décembre 1348, elle a envahi toute l’Europe méridionale, de la Grèce au sud de l’Angleterre. L’hiver 1348-1349 arrête sa progression, avant de resurgir à partir d’avril 1349.

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Diffusion de la peste noire entre 1347 et 1351. Travail personnel Flying PC

Le franciscain Michel Platensis en décrit les symptômes : « bubons, fièvre et crachements de sang. La maladie durait trois jours, le quatrième la victime mourait. »

« Les villes prennent une allure apocalyptique : « le père laissait là son fils malade, les notaires de la cité refusaient de venir recueillir les dernières volontés des mourants, les prêtres d’entendre les confessions. Les cadavres étaient abandonnés sur place et personne ne leur donnait de sépulture chrétienne. Les maisons des morts restaient ouvertes, avec bijoux, argent et autres biens précieux, sans personne pour les garder. L’épidémie était survenue si vite qu’on n’avait pas eu le temps de prendre de mesures préventives. Les gens quittèrent la ville en foule et allèrent dresser leurs camps dans les forêts. »

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Illustration de la Peste noire tirée de la Bible de Toggenburg (1411).

La peste noire et l’imaginaire collectif.

« Cette année-là, 1348, au mois d’août, on vit au-dessus de Paris une étoile, dans la direction d’Ouest, très grande et très claire. » « Une comète à flamme noire avait annoncé et précédé le fléau. »

La peste est perçue par les contemporains comme une vengeance divine et des populations minoritaires sont accusées d’en être responsable. Dès 1348, la peste provoque des émeutes antijuives en Provence.

Des groupes de flagellants se forment et tentent d’expier leurs péchés avant l’Apocalypse, car ils pensent que la peste n’est qu’un signe annonciateur. Ils envahissent les villes et villages et terrorisent les populations. Les arts seront marqués par les danses macabres, représentatives de l’obscurantisme du moyen âge mais dont les valeurs sont intéressantes. Cette forme d’expression est le résultat d’une prise de conscience et d’une réflexion sur la vie et la mort, dans une période où celle-ci est devenue plus présente et plus traumatisante. Les guerres, les famines et la peste, que représentent souvent les trois cavaliers de l’Apocalypse, ont décimé les populations.
La Danse macabre souligne la vanité des distinctions sociales, dont se moquait le destin, fauchant le pape comme le pauvre prêtre, l’empereur comme le simple soldat.

Une vieille complainte bourguignonne, à propos de Nuits St Georges et Beaune dit :

« En mil trois cent quarante et huit,
A Nuits, de cent sont restés huit.
En mil trois cent quarante et neuf,
A Beaune, de cent sont restés neuf. »

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Procession de flagellants –
Illustrations de la Chronique de Nuremberg, par Hartmann Schedel (1440-1514)
Liber chronicarum – 1493

Conséquences

La peste eut d’importantes conséquences économiques, sociales et religieuses :

• la main d’œuvre vint à manquer et son coût augmenta, en particulier dans l’agriculture. De nombreux villages furent abandonnés, les moins bonnes terres retournèrent en friche et les forêts se redéveloppèrent ;

• les propriétaires terriens furent contraints de faire des concessions pour conserver (ou obtenir) de la main d’œuvre, ce qui se solda par la disparition du servage;

• les villes se désertifièrent les unes après les autres, la médecine de l’époque n’ayant ni les connaissances ni les capacités de juguler les épidémies ;

• les revenus fonciers s’effondrèrent suite à la baisse du taux des redevances et à la hausse des salaires ;

• L’église aussi y laissa de son autorité. Comme pour la famine aucune quantité ou qualité de prières n’a été efficace contre la peste et elle n’épargna personne.

• des groupes de flagellants se formèrent, tentant d’expier les péchés, avant l’Apocalypse, dont ils pensaient que la peste était un signe annonciateur ;

• les Juifs, les Gitans (les gens du voyage) et une autre peuplade généralement connue sous le nom de cagots, suspectés par la population d’empoisonner les puits, furent persécutés, en dépit de la protection accordée par le pape Clément VI

• La peste marqua également les arts : voir en particulier les danses macabres et l’œuvre de Boccace le Décaméron.

Bilan humain

Les sources documentaires sont assez éparses et couvrent généralement une période plus longue, mais elles permettent une approximation assez fiable. Les historiens s’entendent pour estimer la proportion de victimes entre 30 et 50 % de la population européenne. Les villes sont plus durement touchées que les campagnes, du fait de la concentration de la population, et aussi des disettes et difficultés d’approvisionnement provoquées par la peste. Il semble qu’en Europe, la diminution de la population était en cours depuis le début du XIVe siècle, à cause des famines et de la surpopulation (la grande famine européenne stoppa l’expansion démographique et prépara le terrain à l’épidémie).

Cette décroissance dura jusqu’au début du XVe siècle, aggravée par la surmortalité due à la peste. La France ne retrouvera son niveau démographique de la fin du XIIIe siècle que dans la seconde moitié du XVIIe siècle, voire même du XIXe siècle !!!

En France, entre 1340 et 1440, la population est passée de 17 à 10 millions d’habitants, une diminution de 41 %.

Le registre paroissial de Givry, en Saône-et-Loire, l’un des plus précis, montre que pour environ 1 500 habitants, on a procédé à 649 inhumations en 1348, dont 630 de juin à septembre, alors que cette paroisse en comptait habituellement environ 40 par an : cela représente un taux de mortalité de 40,6 %. L’épidémie fera, 80000 morts à Paris, 16 000 morts à Marseille, 80000 morts à Reims, 50 000 morts à Londres.

En Italie, il est communément admis par les historiens que la peste a tué au moins la moitié des habitants, 100 000 morts rien que dans la région de Naples. Seule Milan semble avoir été épargnée, quoique les sources soient peu nombreuses et imprécises à ce sujet. Des sources contemporaines citent des taux de mortalité effrayants : 80 % à Majorque, autant à Florence, 75 % à Venise, etc.

En Espagne, la peste a pu décimer de 30 à 60 % de la population, en particulier celle de l’Aragon, après neuf épidémies entre 1348 et 1401.

En Autriche, on a compté 4 000 victimes à Vienne, et 25 à 35 % de la population mourut.
C’est l’Angleterre qui nous a laissé le plus de témoignages ce qui, paradoxalement, rend l’estimation du taux de mortalité plus ardue, les historiens fondant leurs calculs sur des documents différents : les chiffres avancés sont ainsi entre 20 et 50 %. Cependant, les estimations de population entre 1300 et 1450 montrent une diminution située entre 45 et 70 %.

On estime aussi que la population citadine d’Allemagne a diminué de moitié. Hambourg aurait perdu 66 % de sa population, Brême 70 %.
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© Dessin de François Bourgeon Le dernier chant des Malaterre

Violences contre les Juifs.

Dès 1348, la peste provoque des violences antijuives en Provence.

Les premiers troubles éclatent à Toulon dans la nuit du 13 au 14 avril 1348. 40 Juifs sont tués et leurs maisons pillées. Les massacres se multiplient rapidement en Provence, les autorités sont dépassées à Apt, Forcalquier et Manosque.

La synagogue de Saint-Rémy-de-Provence est incendiée (elle sera reconstruite hors de la ville en 1352).
En Languedoc, à Narbonne et Carcassonne, les Juifs sont massacrés par la foule. En Dauphiné, des Juifs sont brûlés à Serres. N’arrivant pas à maîtriser la foule, le dauphin Humbert II fait arrêter les Juifs pour éviter les massacres.

Ceux-ci se poursuivent à Buis-les-Baronnies, Valence, la Tour-du-Pin, Saint Saturnin et Pont-de-Beauvoisin où des Juifs sont précipités dans un puits qu’on les accuse d’avoir empoisonné.

D’autres massacres ont lieu en Navarre et en Castille. Le 13 mai 1348, le quartier juif de Barcelone est pillé.

En juillet, le roi de France Philippe VI fait traduire en justice les Juifs accusés d’avoir empoisonné les puits. 6 Juifs sont pris à Orléans et exécutés. En août, la Savoie est à son tour le théâtre de massacre. Le comte tente de protéger puis laisse massacrer les Juifs du ghetto de Chambéry.

En octobre, les massacres continuent dans le Bugey, à Miribel et en Franche-Comté.

Les ashkénazes d’Allemagne sont victimes de pogroms.

En septembre 1348, les Juifs de la région de Chillon, sur le lac Léman en Suisse, sont torturés jusqu’à ce qu’ils avouent, faussement, avoir empoisonné les puits.

Leurs confessions provoquent la fureur de la population qui se livre à des massacres et à des expulsions. Trois cents communautés sont détruites ou expulsées. Six mille Juifs sont tués à Mayence. Nombreux d’entre eux fuient vers l’est, en Pologne et en Lituanie.

Plusieurs centaines de Juifs sont brûlés vifs lors du pogrom de Strasbourg le 14 février 1349, d’autres sont jetés dans la Vienne à Chinon. En Autriche, le peuple, pris de panique, s’en prend aux communautés juives, les soupçonnant d’être à l’origine de la propagation de l’épidémie, et Albert II d’Autriche doit intervenir pour protéger ses sujets juifs.

Traitements médicaux de l’époque.

La médecine du XIVe siècle était bien impuissante face à la peste qui se répandait. Les médecins débordés ne savaient que faire devant cette maladie qui les atteignait, tout autant que leurs patients.

Les médecins portaient ce masque, sensé les protéger de la maladie. Dans le « bec » était mis des plantes aromatiques qui devaient préserver la santé du thérapeute … Le bâton servait à ausculter sans toucher le malade, les gants et la grande robe étaient là aussi pour protéger le thérapeute.
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Néanmoins, malgré leur impuissance, quelques conseils, vains, étaient donnés :

• brûler des troncs de choux et des pelures de coing ;

• allumer des feux de bois odoriférants dans les chaumières ;

• faire bouillir l’eau et rôtir les viandes ;

• prendre des bains chauds ;

• pratiquer l’abstinence sexuelle ;

• pratiquer de nombreuses saignées ;

• administrer des émétiques et des laxatifs, l’effet obtenu étant l’affaiblissement des malades qui meurent ainsi plus rapidement, comme pour le traitement par saignées ;

• organiser des processions religieuses solennelles pour éloigner les démons.

• Les Thériaques préparées par les apothicaires, passaient pour être une panacée pouvant immuniser et guérir de la peste. Celles préparées à Venise et Montpellier étaient très réputées. Ils la préparaient au cours de la semaine de la thériaque, vers le mois de février.
Sa préparation nécessitait plus d’un an et demi (car elle devait fermenter) et faisait appel à plus de soixante-quatre ingrédients végétaux, minéraux et animaux des plus variés, sans compter le vin et le miel : gentiane, poivre, myrrhe, acacia, rose, iris, rue, valériane, millepertuis, fenouil, anis ainsi que de la chair séchée de vipère, de l’opopanax (plantes herbacées) et des rognons de castor.
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Pour en savoir plus voir : Site historique de la commune de Saint-André d’Olérargues (Gard)