Une nouvelle de Marc LEVY sur un conflit qui dure …

Dissemblance

– Depuis combien de temps sommes-nous là ?
Aaron posa sa main sur la terre meuble et acheva de tracer un rond parfait.
– Pourquoi tu ne me réponds pas ?
Aaron se leva et marcha vers la porte, il en effleura le vernis, haussa les épaules et retourna s’asseoir contre le mur, à même le sol.
– Fais comme tu voudras, nous sommes là tous les deux comme deux cons, mais si tu préfères te sentir encore plus seul, alors tais-toi.
– On est entré dans cette pièce ensemble, tu dois savoir aussi bien que moi depuis combien de temps nous croupissons ici, alors pourquoi perds-tu ton temps à me le demander ?
– Parce que justement, je n’arrive plus à me souvenir.
– Et bien cherche, ça t’occupera.
– Qui t’a dit que je m’ennuyais ?
– Tu n’arrêtes pas de tourner en rond.
– C’est toi qui viens encore de te lever, pas moi.
Les deux hommes se regardèrent et Aaron effaça le rond pour entreprendre cette fois de tracer un carré.
– Quand j’étais enfant, ma mère m’apprenait à compter les nuits d’absences de mon père. Les « dodos » comme elle les appelait, étaient devenu une unité de mesure pour moi. Je croyais que le temps se décomposait non pas en heures mais en dodos. C’est idiot non ?
– Non, c’est toi qui est idiot…. Répondit Aaron. Tu as peur à ce point là ?
– Pas toi ?
– Je ne sais pas.
– Tu ne sais pas depuis combien de temps nous sommes là, tu ne sais pas si tu as peur, tu sais quelque chose au moins ?
– Je sais que nous sommes là depuis longtemps mais je n’arrive plus à compter les dodos Aaron.
– Cela n’a pas grande importance, tu n’es plus un enfant à ce que je sache.
– Tu le sais toi ?
– Je me fiche complètement du nombre de tes dodos, j’aimerai mieux savoir combien de temps encore je vais devoir te supporter dans cet espace exigu.
– Tu serais vraiment mieux tout seul ?
– Pas si tu te taisais, tu m’empêches de réfléchir.
– A quoi réfléchis-tu ?
– A mon père. Moi aussi j’ai une absence ; je n’arrive pas à me souvenir de son visage. Ce matin encore, à mon réveil, ses traits étaient encore présent, mais depuis ta satanée histoire avec ta mère, je pense à lui et je n’arrive plus à me représenter ses yeux, est-ce qu’ils étaient bleus ou marrons ? Merde alors, on ne peut quand même pas oublier la couleur des yeux de son propre père ;
– Moi si, je me demande si je les ai jamais vu les yeux de mon père.
– Qu’est ce qu’il faisait dans la vie ?
– Il était dans la milice.
– Ce n’est pas un métier ça.
– Peut-être mais c’est le seul que les hommes de mon village pouvaient trouver pour nous faire bouffer. Et toi, il faisait quoi ton père ?
– Il était dans l’armée. Un haut gradé.
– C’est pour ça que tu ne peux pas te souvenir de la couleur de ses yeux… à cause de la visière de sa casquette !
– Je te préviens, si tu te fous de la gueule de mon père je te casse la tienne.
– Je ne peux pas me foutre de sa gueule alors que tu ne te souviens même plus de la façon dont elle est faite, je n’ai aucune imagination.
– Alors tais-toi.
– Aaron ?
– Qu’est ce qu’il y a encore ?
– Pourquoi tu ne m’appelles jamais par mon prénom ?
– Je n’avais pas remarqué.
– Chez nous, on raconte que vous ne voulez pas connaître nos prénoms.
– Quelle idée étrange, pourquoi ?
– Chez nous, on dit qu’apprendre le prénom de quelqu’un c’est le connaître un peu, et il est plus difficile de tirer sur quelqu’un que l’on connaît un peu, c’est pas idiot comme raisonnement.
– Alors c’est chez vous que l’on apprend ça, pas chez nous.
– En tout cas, moi je connais ton prénom, toi tu n’as toujours pas prononcé le mien.
– Tais-toi Saïd, tu m’épuises avec tes raisonnements idiots, aussi idiots que toi et tous les tiens.
– Aaron ?
– Mais qu’est-ce qu’il y a encore.
– J’aurai voulu que tu connaisses ma grand-mère.
– Ta mère, tes dodos, ton père, tu m’emmerdes avec ta famille Saïd.
– Tiens, là, tu as dis mon prénom, tu vois, tu commences à me connaître un peu, c’est bien, ça me fait plaisir.
– Et bien garde ton plaisir et tes mots et laisse-moi réfléchir en paix.
– Tu ne veux pas savoir pourquoi j’aurai voulu que tu connaisses ma grand-mère ?
– Je ne veux pas le savoir mais tu vas me le dire quand même, et si finalement je veux bien l’apprendre, peut-être qu’après tu accepteras enfin de te taire.
– Et à quoi réfléchis-tu de si important pour avoir besoin d’un tel silence ?
– A la façon de sortir d’ici !
– Pourquoi, on n’est pas si mal ici, je veux bien le prendre moi ce repos. J’étais fatigué ces derniers temps tu sais.
– C’est bien ce que je disais, tu es un parfait idiot Saïd, tu te contentes de ton sort.
– Tu vois, c’est à cause d’une phrase comme celle-là que j’aurais voulu que tu connaisses ma grand-mère.
– Je ne vois vraiment pas le rapport avec ta grand-mère.
– Tu dis que tu luttes pour ton bonheur mais tu es incapable d’apprécier le moindre des moments que la vie t’offre. Cela faisait combien de jours que tu grelottais la nuit, suait le jour à en crever, que ton estomac gargouillait, que tu ne pouvais même plus déglutir tellement tu avais la gorge sèche ? Ici il ne fait ni froid ni chaud, nous n’avons ni soif ni faim, cela fait longtemps que nous n’avons pas été aussi tranquille, et toi tu veux déjà sortir ? C’est toi l’idiot.
– Et qu’est ce que viens faire ta grand-mère là-dedans ?
– Elle t’aurait appris la sagesse !
– Venant de toi ça me fait bien rire, elle n’a pas du trouver le temps de te l’apprendre sa sagesse.
– Je te préviens Aaron, si tu te moque de ma grand-mère, je te casse la gueule.
– Laisse ta grand-mère en paix avec mon père là où ils sont, et arrête de gesticuler comme ça.
– Pourquoi nous haïssons-nous Aaron ?
– Ca aussi tu l’as oublié ?
– Je sais pourquoi moi je te hais mais toi ?
– Parce que tu es mon ennemi Saïd ? C’est ainsi.
– Je ne t’ai jamais connu avant que nous soyons ennemis, ça cela ne te fait pas réfléchir.
– Je n’avais pas besoin de te connaître, nous habitons une terre où nos dieux se haïssaient avant nous.
– Ton Dieu et le mien, c’est le même, il change juste de nom quand il franchit la frontière.
– De langue aussi, je te ferai remarquer, ça fait déjà une sacrée différence pour un seul homme non ?
– Ce n’est pas un homme c’est un Dieu. Tu n’as pas répondu à ma question Aaron, c’est juste parce que tu ne connais pas la réponse et tu refuses d’avouer ton ignorance.
– Vas-y, je t’écoute, toi qui sais tout.
– Ce n’est pas moi qui savais, c’est ma grand-mère !
– Et revoilà son aïeule ! Mais qu’est ce que j’ai bien pu faire à mon Dieu pour me retrouver ici avec lui ?
– Je vais te le dire Aaron, nous nous haïssons à cause de nos différences. Nous ne parlons pas la même langue, nous ne portons pas les mêmes habits, nous ne fréquentions pas les même écoles, nous ne mangeons pas les même plats et nous ne disons pas les mêmes prières ; voilà, ça cela fait une sacrée liste de différence, c’est bien trop pour nous les hommes.
– Tu n’y es pas du tout, je me fiche de ce que tu manges, de ce que tu dis, des vêtements que tu portes.
– Alors pourquoi nous haïssons nous ? Ca aussi tu l’as oublié, comme la couleur des yeux de ton propre père ? Dis-le moi si tu t’en souviens, dis-le moi et je te jure sur mon Dieu que je me mettrai à réfléchir avec toi à la façon de te faire sortir d’ici !
– Parce que tu as l’intention de rester peut-être ?
– Je ne sais pas, je n’ai pas encore pris ma décision, mais ne t’écarte pas du sujet de notre conversation, c’est vraiment une sale manie que tu as.
Aaron se leva et se mit à faire les cent pas, soixante dix pour être précis, soit exactement dix tours des quatre murs qui l’entouraient, et plus il réfléchissait à la question de Saïd plus il lui sembla que ses pas s’allongeaient, comme si la pièce s’agrandissait, effet de la fatigue probablement.
– Et toi tu me dis que tu connais la solution ? dit-il en pointant un doigt vers Saïd.
– Moi, je te dis que toi tu la connais, seulement, c’est difficile à avouer.
Aaron fixa Saïd du regard.
– Et si je te la dis cette raison, qu’est ce qui me prouve que tu m’aideras vraiment à sortir d’ici ?
– Je ne t’ai pas fait une telle promesse, je me suis engagé à y réfléchir à tes côtés, et si le marché ne te semble pas suffisant, je te promets autre chose, mais c’est une surprise.
– Quoi comme surprise ?
Saïd croisa les bras et attendit qu’Aaron s’exécute.
– Bon, tu veux savoir la vérité, je vais te la dire, mais je te préviens Saïd, si tu le répètes à qui que ce soit je t’arracherai la langue et jurerai que tu es un menteur.
Saïd se contenta de sourire.
– Et bien la vérité c’est que nous vous haïssons parce que nous avons peur de vous.
– Pourquoi ? demanda calmement Saîd.
– A cause de vos différences ! Parce qu’à force de vivre près de nous, vous déteignez sur nous, et nous devons protéger qui nous sommes, et d’où nous venons, voilà la vérité.
– Tu sais d’où tu viens toi ?
– Nous sommes l’une des plus vieilles tribus du monde !
– Je ne vois pas à quoi ca peut bien servir de tuer ses enfants pour défendre ses origines quand on n’arrive même pas à se souvenir de la couleur des yeux de son propre père. A quoi cela te sert tout ce passé ? A mon tour de te faire un aveu Aaron, nous avons vécu avec la même trouille, votre peur nous a foutu la plus grande trouille de notre vie. On avait tellement mal au ventre de cette peur là qu’un jour on a pris des pierres pour vous les jeter à la gueule, pour vous faire disparaître et la peur avec. Vous nous avez tiré dessus, on a tiré nous aussi, mais on avait moins de balles que vous, ça coute drôlement cher les balles, on avait pas l’argent, alors on a fabriqué des bombes, et vous on les a fait péter à la figure. On les accrochait autour de nos ventres ces bombes qui ne coutent pas cher à fabriquer. C’était logique, du côté du ventre on ne sentait plus rien. L’escalade quoi !
Aaron se laissa glisser le long du mur et recommença à tracer un trait dans la terre meuble. Sa main dessinait un triangle cette fois.
– Tu ne dis rien ? Enchaîna Saïd.
– Il n’y a pas grand-chose à ajouter. C’est l’escalade comme tu disais. Tu sais Saïd, il y a quelque chose que je n’ai jamais dit, une question que je n’ai jamais osé poser à personne.
– Quelle question ?
– Ca ne sert à rien, je ne vois pas comment toi tu pourrais avoir la réponse, personne ne la connait ici bas.
– Aaron, ton père avait les yeux bleus !
– Et comment tu sais ça toi qui ne la jamais connu ? demanda Aaron en s’emportant.
– Parce que toi aussi tu as les yeux bleu, et sans aucun doute le regard de ton père, répondit Saïd.
Aaron baissa lentement la tête et murmura :
– Je crois qu’on nous a menti Saïd.
– Qui nous a menti ?
– Les hommes de Dieu.
– Tu dis vraiment n’importe quoi, les hommes de Dieu ne mentent pas, ils sont là pour porter la vérité aux hommes.
– Alors puisque tu es si sur de toi, dis-moi qui a crée l’homme ?
– Dieu, évidemment ! répondit aussitôt Saïd en levant les yeux au ciel.
– Et tu es d’accord aussi que Dieu a crée tous les hommes ?
– Les hommes, les animaux, la mer, la terre et tout ce qui est en vie dessus, même les rochers, où veux-tu en venir avec tes questions aussi idiotes que toi ?
– Si tu m’accordes que Dieu à crée tous les hommes, c’est donc bien lui qui a décidé qu’ils ne seraient pas tous de la même couleur, c’est même lui qui les a inventées ces couleurs, c’est aussi lui qui a décidé que nous ne parlerions pas tous la même langue, que nous inventerions des choses différentes, que nous ne nous habillerions pas tous de la même façon, que nous ne mangerions pas tous la même chose…
– Pardonne-moi Aaron mais je ne vois toujours pas à quoi ça sert tout ce que tu es en train de dire.
– Et bien réfléchis, tout ce que je viens de dire porte un nom Saïd.
– Quel nom ?
– La différence Saïd, la différence.
– Tu veux dire que c’est Dieu qui a inventé la différence.
– Oui, c’est exactement ce que je viens de dire. Si Dieu a inventé le monde il a aussi inventé la différence. Dieu n’est pas stupide, il ne peut pas demander aux hommes de détruire sen son nom ce qu’il a lui même crée !
– N’empêche, tu m’accorderas qu’il s’est un peu compliqué la vie et la nôtre aussi, pourquoi a-t-il fait ça ? SI nous avions tous été identiques, tout serait plus facile.
– Tout serait plus facile mais d’un ennui à vouloir mourir aussitôt né.
– Tu ne crois pas que tu exagères un peu tout de même ?
– Parce que tu vas me dire que depuis que nous sommes dans cette pièce aux murs uniformes et sans couleur, habillés dans la même tenue, nous ne nous ennuyons pas ? Tu vas me faire croire qu’en dépit d’un confort plus que relatif tu n’as pas rêvé de sortir d’ici. De retrouver tous les reliefs de ta vie, que soif ou pas, chaud ou froid, tu donnerais tout pour aller courir sur nos collines, revoir les rues de nos villes qui changent de couleur au fil de la journée ?
– Je ne dis pas le contraire, mais en tout cas, je ne m’ennuie plus depuis que nous parlons.
– Et de quoi parlons-nous depuis tout à l’heure Saïd, de quoi parlons nous qui éveille ton attention au point de te faire oublier la monotonie de ce lieu ?
– De nos différences, avoua Saïd d’un souffle court qui témoignait de sa stupéfaction.
Aaron et Saïd restèrent là à se regarder l’un l’autre, chacun réfléchissait. Aaron traçait un rectangle sur le sol, Saïd une ligne droite.
– Tu crois que si nous révélions une telle chose à nos proches on réussirait à arrêter la guerre ? demanda Aaron.
– J’en doute, mais ça vaut peut-être la peine d’y réfléchir.
– C’est tout réfléchis, il faut aller leur dire que tous les hommes qui envoient leurs enfants s’entretuer, tous ceux qui disent que mourir au nom d’un Dieu ouvrira les portes d’un paradis promis, sont des menteurs. Ce sont eux qui trahissent le Dieu qu’ils servent, eux même qui dévoient leu foi en se servant des religions dont ils se servent pour nous manipuler.
Nous avons trouvé la preuve irréfutable que Dieu n’a jamais voulut une telle chose.
– Personne ne t’écoutera.
– Si nous les laissons faire c’est nous qui deviendrons coupable le jour du jugement, nous la connaissons la vérité toi et moi. C’est Dieu qui a voulu la différence. Saïd, il faut aller leur dire, c’est une découverte aussi importante qu’un vaccin, plus peut-être.
– Tu exagère encore Aaron !
– Ah oui ? Dis-moi quel antidote pourrait sauver autant de vie que notre découverte. Nous aurons peut-être même un prix Nobel. Ne reste pas là immobile comme ça, mais lève-toi bon sang !
Saïd ne bougeait pas, l’air grave, il regardait la porte.
– Il doit bien y avoir un moyen de sortir d’ici, repris Aaron en regardant à son tour la porte.
– Elle est ouverte, murmura Saïd. Et devant l’étonnement d’Aaron, il ajouta. Tout à l’heure quand je me suis levé, j’ai posé ma main dessus, tu te souviens de cela ? Et bien j’ai vu qu’elle était ouverte.
– Et tu ne m’as rien dit salopard ?
– Je t’avais dit que je n’avais pas encore pris ma décision de partir ou pas d’ici. En revanche, je t’avais promis de te t’aider à sortir et je viens de tenir ma promesse. Et je ne regrette rien ; si je te l’avais dit tout à l’heure, tu serais parti aussitôt et nous n’aurions pas eu cette conversation. Je n’aurais pas pu te connaître et tu n’aurais eu aucune chance d’avoir ton prix Nobel. Alors remercie-moi au lieu de t’énerver inutilement La porte est ouverte, tu peux partir maintenant si tu veux.
– Tu dois venir avec moi, seul je n’y arriverai pas, pendant que je parlerai aux miens tu devras faire la même chose avec les tiens. Lève-toi Saïd.
– Tu peux sortir si tu le souhaites, mais je doute que tu puisses aller dire quoi que ce soit à qui que ce soit..
– Et pourquoi ?
– Parce que moi, je n’ai pas perdu la mémoire comme toi, enfin, pour être honnête, elle m’est revenue pendant que tu rêvais à ton prix Nobel. Je sais la raison pour laquelle nous sommes ici Aaron.
– Et cette raison pour la quelle nous sommes ici tous les deux nous interdit d’aller parler à nos frères ?
– D’une certaine façon oui.
– Alors dis-moi pourquoi, toi qui sait tout !
– Parce que nous sommes morts Aaron ! Nous nous sommes tués l’un l’autre. Je suis incapable de te dire à quand cela remonte, j’ai perdu un peu la notion du temps depuis que nous sommes ici. Mais je me souviens très bien de la façon dont ça s’est passé. Je suis entré dans un de vos supermarchés, avec une de ces bombes qui ne coutent pas cher à fabriquer attachée à la ceinture. Oh, j’avais bien plus peur que je n’ai voulu te l’avouer tout à l’heure ; toi, tu gardais l’entrée dans ton bel uniforme de soldat, tu as vu la peur qui coulait sur mon front, tu as compris, tu as pris ton fusil et tu m’as tiré dessus. Tu te souviens maintenant ?
– Et comment je suis mort moi ?
– Tu avais visé au ventre imbécile !

Aaron et Saïd restèrent là à se regarder l’un l’autre, chacun cette fois muré dans son silence. Et puis soudain, Aaron se mit à rire, quelques hoquets d’abord et puis un rire plus franc qui envahit la pièce, et l’écho de ce rire là gagna Saïd. S’ils avaient été encore en vie, l’air leur aurait manqué tant ils riaient tous deux, se tenant le ventre ; et pour la première fois depuis leur enfance, sans ressentir aucune douleur, aucun bien être non plus.
– Tu te rends compte, dit Aaron, en se redressant. Si nous avions pu leur dire ce que nous savons maintenant.
– Tu te rends compte, répondit Saïd, si nous l’avions découvert avant…. Allez, viens, je vois la lumière qui diminue, je pense que nous devons partir d’ici.
Les deux hommes se levèrent et se dirigèrent vers la porte, le battant s’ouvrit sous la main d’Aaron. Ils firent quelques pas dans un long corridor, Saïd regarda Aaron.
– Je crois que nous sommes séparés par une vitre !
Aaron avança la main de côté et constata que Saïd avait dit vrai.
– Cela veut peut-être dire que nous n’allons pas au même endroit Saïd.
– Je suis heureux Aaron, maintenant tu dis mon prénom à chaque fois que tu me parles.
– J’ai peur Saïd !
– Toi le soldat, tu as peur ? Pourtant tu n’avais pas peur de mourir, tu l’as gueulé assez fort sur les champs de bataille.
– Bien sur que si j’avais la trouille, mais à croire en Dieu, je croyais aussi à une vie après la vie.
– Et bien on dirait que tu n’es pas trompé puisque nous nous parlons.
-Ce que je voulais dire c’est que je croyais à une vie meilleure à celle que nous avons eu sur la terre, et là si je me suis trompé, ce sera pour l’éternité !
– Qu’est ce que tu en sais de l’éternité Aaron ?
– Rien, mais j’ai peur quand même.
– Alors Aaron, n’ai plus peur, je crois que je viens d’apercevoir ma grand-mère au bout de mon couloir, ton père ne dois pas être très loin. Fais bonne route Aaron.
– Toi aussi Saïd, fais bonne route.

Aaron fit un geste de la main que Saïd lui retourna. Quelques pas plus tard, il se dit qu’il réciterait son prénom au moins une fois chaque jour, pour ne jamais l’oublier, où peut-être mieux encore, chaque soir avant d’aller se coucher, avant chaque « dodo », et Aaron sourit à cette seule pensée.

Et puis, il ressentit une sorte de vide au fond de sa poitrine, presque comme un manque, il se dit alors qu’un prénom ne suffirait pas, il aurait bien aimé le connaître avant Saïd, peut-être que c’était important de le lui dire cela avant qu’ils ne se séparent à jamais. Il se retourna, mais Saïd avait déjà disparu. Aaron haussa les épaules, et son regret s’effaça quelques pas plus tard : après tout c’était idiot, avant, il n’aurait jamais eu le courage de faire un tel aveu, son père ne l’aurait jamais pardonné.



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