« Le Meilleur des mondes » – Aldous Huxley
« 1984 » – Georges Orwell.
Il n’y a pas que George Orwell qui a dressé un bilan sombre de l’avenir de l’humanité, caractérisé dans sa prophétie, « 1984 », d’une dictature impitoyable : «Big Brother».
Aldous Huxley avait, plus d’une dizaine d’années avant Orwell, créé un monde où les êtres humains étaient totalement inconscients de leur sort.
Lequel des deux était le plus visionnaire. A lire et à relire …
Samsung nous espionne et le dit !
Politique de confidentialité de la smart TV de Samsung concernant son module de commande vocale :
«Sachez que si les mots que vous prononcez sont personnels ou contiennent des informations sensibles, il est possible que ces informations fassent partie des données capturées et transmises à un service tiers via la Reconnaissance Vocale.»
Un extrait de 1984 de George Orwell, paru en 1949:
«Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas de moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir.»
Alors oui, forcément, cela fait un peu peur. Samsung a depuis dû préciser sa position et expliquer que sa smart TV n’était pas l’effrayant Big Brother d’Orwell. (Seulement un maillon)
Pourtant, il faut avouer qu’elle était attirante, cette comparaison avec l’écrivain britannique. Depuis plusieurs années, l’utilisation d’Orwell pour nous alerter d’un désastre en cours concernant l’espionnage de notre vie privée est devenue commune.
Après les révélations d’Edward Snowden, un peu avant l’été 2013, Fabrice Epelboin avait évoqué «le monde orwellien» dans lequel nous vivions:
«On peut parler de monde orwellien dans la mesure où l’on trouve les éléments du célèbre roman 1984: un Etat qui surveille les moindres faits et gestes de la population, qui s’immisce de plus en plus dans le domaine du privé, qui contrôle l’information par son emprise sur les médias –les subventionner alors qu’ils sont en situation de faillite chronique depuis des lustres est une bonne solution– et où l’on a un appareil d’Etat qui impose un vocabulaire –qu’Orwell nomme « novlangue » et qu’on appelle, nous, “éléments de langage” ou “storytelling”.
« Bien sûr que nous sommes dans un monde orwellien. Tout le monde s’en rend bien compte, mais nous sommes encore loin d’être dans un monde en crise ouverte, ou tout du moins nous n’en sommes qu’aux prémices.»
Edward Snowden avait lui-même fait référence à George Orwell en décembre 2013:
«Récemment, nous avons appris que nos gouvernements travaillent ensemble pour créer un système de surveillance mondiale. George Orwell nous avait prévenus du danger de ce genre d’informations. Les types de collecte utilisés dans le livre, comme les microphones, les caméras, les télés qui nous regardent, ne sont rien comparé à ce que nous avons aujourd’hui. Nous avons des capteurs dans nos poches qui permettent de nous suivre partout.»
Huxley plus visionnaire
En fait, notre société est plus proche de celle qu’Aldous Huxley avait imaginée dans Le Meilleur des mondes.
Dans cette contre-utopie publiée en 1932, il dépeignait, «les contours d’une dictature parfaite.
« Des individus conditionnés auraient l’illusion d’être libres et épanouis, mais seraient en réalité placés dans un système de soumission via une consommation et une distraction excessives».
Voir mon article « Un jour tous pucés »
Dans le Guardian, John Naughton démontrait, en 2013, pourquoi Huxley était «le vrai visionnaire»:
«Nous avons oublié l’intuition d’Huxley. Nous n’avons pas réussi à nous rendre compte que notre emballement pour les jouets élégants produits par les Apple et Samsung –combiné à notre appétit apparemment insatiable pour Facebook, Google et d’autres entreprises qui fournissent des services « gratuits » en échange de détails intimes de notre vie quotidienne– pourrait bel et bien se révéler comme étant un narcotique aussi puissant que le « soma » l’était pour les habitants du Meilleur des mondes. […] Ayons une pensée pour l’écrivain qui a perçu l’avenir dans lequel nous apprenons à aimer nos servitudes numériques.»
L’essayiste Neil Postman remarquait , que c’était peut-être Huxley, et non Orwell, qui avait le mieux réussi à anticiper le futur. Dans la préface de Se distraire jusqu’à en mourir, il tenait à faire la différence entre les deux auteurs:
«Orwell prévient que nous serons bientôt submergés par une oppression imposée. Mais chez Huxley, il n’y pas besoin de Big Brother pour priver les gens de leur autonomie, de leur maturité et de l’histoire. De la façon dont il le voyait, les gens finiront par aimer d’eux-mêmes leur oppression et adorer les technologies qui annihilent leurs capacités à penser.»
«Huxley, dans sa vision, n’a nul besoin de faire intervenir un Big Brother pour expliquer que les gens seront dépossédés de leur autonomie, de leur maturité, de leur histoire. Il sait que les gens viendront à aimer leur oppression, à adorer les technologies qui détruisent leur capacité de penser.
Orwell craignait ceux qui interdiraient les livres, Huxley redoutait qu’il n’y ait même plus besoin d’interdire les livres car plus personne n’aurait envie d’en lire.
Orwell craignait ceux qui nous priveraient d’informations, Huxley redoutait qu’on ne nous en abreuve au point que nous ne soyons réduits à la passivité.»
Là où Orwell imaginait la censure, Huxley voyait lui des individus inondés de flux et victimes d’un désintérêt général pour l’information. On s’y croirait …