Source partielle http://www.chroniquesdugrandjeu.com/
Réunion à Bakou
Ce lundi, se sont en effet réunis à Bakou eu Azerbaïdjan les présidents russe, iranien et azéri. Parmi les sujets divers et variés discutés (contre-terrorisme, coopération dans l’industrie d’armement etc.), il y en a un qui est très intéressant : le projet d’un corridor de transport Nord-Sud reliant les trois pays.
Jusqu’ici, rien que de très banal en apparence. Coopération régionale, volonté d’intensifier les échanges ; une petite chose en apparence.
Sauf que… A terme, le but n’est ni plus ni moins que de concurrencer le canal de Suez !
« Le projet de corridor de transport international « Nord-Sud » est appelé à réunir les meilleures conditions pour le transit des marchandises depuis l’Inde, l’Iran et les pays du Golfe vers l’Azerbaïdjan, la Russie et plus loin vers le Nord et l’Ouest de l’Europe », a déclaré le chef de l’Etat russe Vladimir Poutine devant les journalistes azerbaïdjanais à la veille de sa visite dans leur capitale.
Le but étant de relier l’Asie de Sud Est, l’Inde, Pakistan, Afghanistan, Iran, Irak, Russie à l’Europe, loin des voies maritimes.
Il s’agit en fait de non seulement créer des corridors de transport vers l’Inde, le Pakistan et l’Irak, mais aussi et surtout de former l’espace eurasiatique de transport nord-sud.
Le projet, en fait, c’est d’éviter l’océan « international » (c’est-à-dire la puissance maritime anglo-saxonne) et de favoriser les voies de transport continentales où l’empire anglo-saxon n’a pas son mot à dire. En un mot, accélérer l’intégration de l’Eurasie.
En ce qui concerne l’avantage économique de la voie « Nord-Sud », on peut dire que l’envoi d’un conteneur de 40 pieds de Francfort-sur-le-Main en Asie du Sud par le canal de Suez revient aujourd’hui à 5.670 dollars. Son transport par le corridor de transport international « Nord-Sud » coûte, dès aujourd’hui, 2.000 dollars de moins et il est de 15 à 20 jours plus rapide !
Cela ne vous rappelle rien ?
Voir mon article complet sur les vrai raisons de la boucherie de 1914-1618
La fin de la deuxième moitié du XIXè siècle voit deux grandes puissances européennes s’affronter en terre d’Islam, plus précisément au Proche-Orient : l’Empire britannique et le IIè Reich de Guillaume II. Cette rivalité germano-britannique est très largement ignorée en France. Et pourtant, la compréhension profonde des antagonismes entre la puissance maritime britannique et la puissance terrestre allemande est capitale à connaître car elle a déterminé la Première guerre mondiale.
Toujours le PETROLE
Au tournant du XIXè siècle et du XXè siècle, la puissance maritime anglaise, maîtresse d’environ un cinquième des terres émergées, a besoin de maîtriser cette nouvelle énergie afin de conserver sa suprématie. En contrepartie, le jeune Empire allemand dont l’unité politique est récente (18 janvier 1871) cherche à obtenir une « place au soleil » selon les propres termes de l’empereur Guillaume II. Cette Allemagne au développement économique vertigineux se doit de trouver de nombreux marchés capables d’absorber les excédents de l’industrie germanique. Dès 1889, une véritable révolution se produit avec la naissance de liens politiques, économiques et militaires entre le IIe Reich et l’Empire Ottoman. La visite de Guillaume II à Istanbul en 1898 renforce ces liens.
Le Bagdad-Bahn
l’Empire britannique réussit à mettre la main sur de nombreux gisements pétroliers en Perse (actuel Iran) Cependant, cette victoire britannique était insuffisante. En effet, du fait des liens germano-turcs, Berlin mettait la pression pour réussir la construction d’une voie ferrée immense à partir des années 1890, le Bagdad-Bahn.
Partant de Hambourg, passant par Berlin, traversant l’Empire d’Autriche-Hongrie allié du IIe Reich, cette voie ferrée était obligée pour des raisons techniques et géographiques de passer par la Serbie, alliée de la France et de la Grande-Bretagne, ennemie farouche du monde germanophone.
La Serbie constituait le talon d’Achille pour l’Empire allemand.
Cette voie, véritable cordon ombilical, traversait la Bulgarie (alliée de l’Allemagne) puis zigzaguait à travers toutes les vallées du territoire ottoman pour longer ensuite le territoire du Tigre et de l’Euphrate riche en pétrole. Elle devait par la suite aboutir jusqu’au Golfe persique (actuel Koweït).
C’est donc une lutte à mort qui s’est engagée entre les Allemands et les Anglais. L’Empire britannique jouant sa place de première puissance ne pouvait pas admettre la réussite de l’Allemagne.
Il ne faut donc pas s’étonner de voir Londres s’opposer avec acharnement au projet allemand, en particulier, par l’intermédiaire des guerres balkaniques au cours de la décennie précédant la guerre de 1914. Ainsi la Serbie alliée à la France et à la Grande-Bretagne représentait le talon d’Achille des ambitions allemandes car ce pays représentait le point de jonction pour établir une ligne ferroviaire complète entre, d’un côté, le bloc continental européen et, d’autre part, l’Asie occidentale à partir des rives du Bosphore.
L’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, contre l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand allume la guerre dans toute l’Europe. L’Allemagne y voit le prétexte pour prendre possession de la Serbie. Mais en fait, cette guerre permet à l’Angleterre de jouer son va-tout. En effet, même si la guerre épuise des forces humaines et matérielles au Nord-Est de la France et sur le front russe ; l’Angleterre ne perd pas de vue que les intérêts de sa politique passent par l’anéantissement du Bagdad-Bahn. Il s’agit de détruire de fond en comble le projet allemand du contrôle de production et d’acheminement du pétrole en provenance de Mésopotamie et empêcher l’émergence d’un bloc continental économiquement unifié allant de Hambourg jusqu’aux rives du Chatt-el-arab.
La géopolitique d’aujourd’hui est presque la même.
Les acteurs ont un peu changé. D’un coté, toujours les anglo-saxon (RU et USA) de l’autre la Russie et ses alliés et bientôt la Chine
Car le corridor est bien sûr à mettre en parallèle avec les pharaoniques routes chinoises de la Soie qui courront est-ouest. Pékin doit suivre le dossier de près et a sûrement été briefé par Moscou. Rappelons à cette occasion ce que Poutine déclarait avant sa visite en Chine le mois dernier : « Dire que nos deux pays coopèrent stratégiquement est dépassé. Nous travaillons désormais ensemble sur tous les grands sujets. Nos vues sur les questions internationales sont similaires ou coïncident. Nous sommes en contact constant et nous nous consultons sur toutes les questions globales ou régionales ».
Le corridor RAI (Russie-Azerbaïdjan-Iran) se combinera avec les voies chinoises pour former un maillage eurasien serré par lequel transiteront marchandises et hydrocarbures. De Lisbonne à Pékin et de l’Océan indien à l’Océan arctique. Un seul absent dans tout cela : les Etats-Unis, dont la capacité de nuisance s’amenuise à mesure que l’intégration de l’Eurasie se poursuit.
Et la Turquie qui en remet une couche
Ce mardi, c’est la visite tant attendue d’Erdogan en Russie. Le sultan est dithyrambique : « Ce sera une visite historique, un nouveau départ. Durant les discussions avec mon ami Vladimir [sortez les mouchoirs !], je pense qu’une nouvelle page de nos relations bilatérales sera écrite. Nos deux pays ont beaucoup à faire ensemble ». Et le président turc d’enfoncer le clou : « Nous pourrons trouver une solution à la crise syrienne seulement en collaborant avec la Russie » ! Mauvaise nouvelle en perspective pour les coupeurs de tête modérés…
Car le sultan ne s’arrête pas là et est prêt à tout pour faire plaisir à « son ami », y compris à engager très vite la construction du gazoduc Turk Stream. Curieux, il était moins impatient l’année dernière… Assiste-t-on à un réel changement tectonique, la Turquie rejoignant la plaque eurasienne ?
Chose amusante, (si on peut dire !) la possible reprise du Turk Stream fait réagir les eurocrates, et devinez quoi… ils expriment leur inquiétude ! Décidément, nos pauvres petits choux de Bruxelles ont peur de tout : de recevoir du gaz russe comme de ne pas en recevoir. Moscou propose le South Stream : inquiétude. Moscou annule le South Stream : inquiétude. Moscou propose le Turk Stream : inquiétude. Moscou annule le Turk Stream : inquiétude. Ankara et Moscou proposent de reprendre le Turk Stream : inquiétude renouvelée. Grâce aux eurocrates, nous venons de découvrir une nouvelle propriété chimique du gaz : il est anxiogène…