Huîtres triploïdes (suite)

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Voir l’article précédent : Huitres modifiées en labo

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Source : Politique.net

Avez-vous mangé des huîtres modifiées, baptisées triploïdes, pendant les fêtes ?

Sans doute, mais vous ne le saurez jamais étant donné que les pouvoirs publics n’ont exigé aucun étiquetage de ces huîtres qui ne sont pas des OGM mais des OVM, c’est-à-dire des organismes vivants modifiés. En clair, une huître triploïde, c’est une huître dont le nombre de chromosomes a été modifié en laboratoire, passant de deux paires à trois paires.
Objectif de cette manipulation ?
L’huître devient stérile, ce qui lui évite un cycle de reproduction qui la rend laiteuse, et donc moins bonne (pour certains qui n’aiment pas les huitres). Grâce à cette version triploïde, vous pouvez désormais manger des huîtres toute l’année. Génial ?

Cette innovation chromosomique, on la doit à l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, un établissement public à caractère industriel et commercial qui dépend du ministère de l’Écologie. Qui dépend du ministère de l’Écologie ? Oui, sauf qu’ici, il est davantage question de commerce plus que d’écologie. Car ces fameuses huîtres triploïdes poseraient problème.

Des OVM dont les risques seraient mal évalués

Dès 2012, Le Point avait soulevé le souci de ces OVM non étiquetés : « Il y a un véritable consensus de la communauté scientifique mondiale sur les risques liés aux OVM et sur l’importance d’une évaluation avant la mise sur le marché », expliquait Jean-Patrick Le Duc, du Muséum national d’histoire naturelle.
Mais encore ? « Aujourd’hui, ils ne sont pas assez évalués ni encadrés alors que l’on n’a aucun recul. Les cas des huîtres triploïdes (…) sont emblématiques : on les a introduits massivement au risque de déséquilibrer complètement les écosystèmes, sans appliquer le principe de précaution ».

Concrètement, les producteurs d’huîtres naturelles accusent les huîtres triploïdes d’être responsables du développement d’une maladie, le virus de l’herpès (appelé OsHV-1), qui décime, depuis 2008, les parcs à huîtres dont la production est passée de 130 000 à 80 000 tonnes. Des accusations qui ont toujours été démenties par l’Ifremer, l’institut soulignant que le lien de causalité entre la triploïde et cette maladie n’a jamais été établi.

Quand la justice s’en mèle…

La bataille entre huîtres naturelles et huîtres modifiées s’est déplacé sur le terrain judiciaire. Il y a quatre ans, les producteurs d’huîtres naturelles ont saisi le tribunal administratif pour « développement de biotechnologies sans en mesurer les conséquences ».

Résultat ? La procédure est toujours en cours : des producteurs ont déposé un référé devant le tribunal administratif de Rennes contre l’Ifremer en octobre 2014 pour négligence. Un nouveau rebondissement intervenu à la suite de la publication d’un rapport, rendu public par Le Canard enchaîné en août 2014, épinglant l’Ifremer. « S’il n’accuse pas nommément l’huître triploïde d’avoir facilité le travail de l’éradicateur OsHV-1, ce rapport reproche à l’institut de recherche d’avoir tardé à sonner le tocsin, en gardant confidentiels des résultats d’analyses sur la vélocité du virus », écrit Le Canard.

Des huîtres modifiées qui rapporteraient 200 000 euros par an à l’institut public

Pourquoi l’Ifremer aurait-elle tardé à sonner l’alerte devant la rapidité de la diffusion de la maladie de l’herpès, qui touche aujourd’hui entre 60 et 90 % de la production des huîtres de moins d’un an ? Selon les défenseurs de l’huître naturelle, ce « manque de zèle » s’expliquerait « par la volonté de l’Ifremer de ne pas ternir la réputation de sa triploïde, dûment brevetée jusqu’à cette année, ce qui lui aurait rapporté pas loin de 200 000 euros par an ».

200 000 euros par an pour breveter des huîtres modifiées par un institut dépendant du ministère de l’Écologie ? On se pince pour le croire.
En attendant l’issue judiciaire, on vous souhaite bon appétit.

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