Le débat autour du droit de tuer taraude l’humanité depuis la nuit des temps.
Toutes les sociétés et toutes les religions condamnent l’homicide, sauf si deux entités souveraines se donnent réciproquement le droit de se tuer mutuellement.
C’est ce qu’on appelle la guerre. Aussi cynique que cela puisse paraître, les humains s’entretuent dans le cadre de réglementations précises : pour qu’un homicide soit licite, il faut que la guerre respecte certaines formes. Pour que la guerre soit juridiquement conforme au droit international chaque belligérant doit être en capacité de tuer son ennemi. C’est précisément ce principe fondamental du droit international qui est remis en cause par l’utilisation du drone.
Certes, cela fait déjà bien longtemps que les militaires cherchent à accroître la portée balistique de leurs armes pour minimiser les risques, mais jamais un tel niveau d’asymétrie n’avait été atteint puisqu’avec le drone, l’action de tuer n’a même plus d’unité de lieu. Le soldat est tranquillement installé dans son fauteuil, joystick en main et yeux rivés sur l’écran : on ne parle donc plus d’une guerre mais d’une authentique chasse à l’homme. Le gibier n’a aucune chance de riposter, il est privé d’ennemi à tuer, le rapport de réciprocité s’annule donc.
Un problème d’éthique difficile à résoudre.
Les attaques de drones américains ont fait au moins 3400 morts en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale depuis 2002.
L’administration Obama a affirmé, cette semaine, que ces frappes étaient «légales, éthiques et sages».
Sans doute, mais …
Les frappes de drones menées par l’administration Obama contreviennent aux droits de l’homme et doivent être dénoncées avec plus de vigueur par les alliés des États-Unis, croit l’une des sommités internationales sur la question, Mary Ellen O’Connell, titulaire de la chaire de droit international à l’Université Notre Dame (située à South Bend en Indiana ) et spécialiste des enjeux liés à l’usage de la force.
Elle estime que l’administration Obama ne reçoit pas assez de critiques et de pressions de la part des pays occidentaux sur la question de ces assassinats extrajudiciaires.
«Le Canada ne dit rien. L’Allemagne ne dit rien. La Suède ne dit rien. La Norvège, le Chili, la Finlande, l’Autriche… Personne ne dénonce cet usage. Personne n’agit», dit-elle en entrevue avec La Presse.
L’arrivée au pouvoir du président Obama, en 2009, auréolé de son Prix Nobel de la Paix, laissait présager la fin de l’utilisation des drones. Or, dès sa première semaine à la Maison-Blanche, le nouveau président a autorisé une frappe de drone contre un «combattant ennemi» dans une maison au Pakistan, dans laquelle se trouvait notamment un bébé de 2 ans, qui est mort dans l’explosion.
« Extrêmement vague »
En entrevue avec La Presse, Noureen Shah, directrice du Projet pour le contreterrorisme et les droits de la personne à l’Institut des droits de l’homme de l’Université Columbia, à New York, dit avoir été surprise par le langage utilisé dans certains médias concernant l’usage des drones.
La définition des cibles potentielles est extrêmement vague. Essentiellement, la Maison-Blanche et la CIA disent: Faites-nous confiance. Venant d’Obama, qui s’est présenté comme le candidat antiguerre, c’est préoccupant.
Mme Shah note que l’administration Obama semble s’être laissé séduire par la simplicité et la flexibilité des drones.
C’est une méthode attrayante, qui ne demande pas l’envoi de soldats au sol et qui ne coûte pas cher. Seulement, on sait que les attaques des drones tuent des civils innocents et des enfants (les bombardements massifs aussi). Au lieu de réclamer des enquêtes, l’administration Obama choisit de garder les informations pour elle. Ça donne l’impression qu’ils craignent la transparence.
Comment un drone passe à l’attaque en cinq étapes
1. Des pilotes postés dans une base de l’US Air Force, souvent celle de Creech, dans le désert du Nevada, observent durant des semaines des cibles dans des villages en Afghanistan ou au Pakistan, au moyen d’un drone Reaper.
2. Les pilotes en viennent parfois à bien connaître les cibles qu’ils observent. «Je les vois avec leur femme, leurs enfants, aller au travail, etc.», a dit un pilote au New York Times, l’an dernier.
3. Les pilotes reçoivent éventuellement l’ordre de tuer la cible (souvent lorsque ses proches ne sont pas présents).
4. Les drones décollent et atterrissent à des bases locales en Afghanistan et en Arabie saoudite, notamment.
5. L’US Air Force compte 1300 pilotes de drone, postés dans 13 bases aux États-Unis. La CIA a aussi un programme de drones, dont peu de détails sont connus.
Comment cela se passe à des milliers de kilomètre de la cible
Le Prix Nobel de la Paix 2009 : « Je suis vraiment bon pour tuer des gens ».
Dans un ouvrage paru ce mois, les journalistes Mark Halperin et John Heilemann rendent compte de la campagne électorale présidentielle de 2012 aux États-Unis opposant Mitt Romney et Barack Obama.
Très bien introduits dans les deux équipes, ils rapportent les propos des deux candidats. Selon eux, le président Obama aime à plaisanter avec ses collaborateurs des assassinats qu’il ordonne par drone.
Il aurait ainsi déclaré : « Je suis vraiment bon pour tuer des gens ».
La Maison-Blanche a décliné tout commentaire, le porte-parole se contentant d’indiquer que le président déteste les fuites. Durant sa présidence, le Prix Nobel de la Paix aurait fait ainsi assassiner entre 2 000 et 3 000 personnes.