ARTHUR RIMBAUD – LES EFFARÉS

Partager

Poème dédié aux enfants qui n’ont pas eu de Noel.

Les Effarés 1

A écouter, éventuellement, mis en musique et chanté par Michel Murty LES EFFARES

ARTHUR RIMBAUD •• LES EFFARÉS

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond,

À genoux, cinq petits, — misère ! —
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.

Quand, pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche,
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
— Qu’ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses,
Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leur prière,
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

— Si fort, qu’ils crèvent leur culotte,
— Et que leur chemise tremblote
Au vent d’hiver.

les Effarés 2