Au royaume de l’Absurdie, la guerre du purin d’ortie se poursuit

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Jean-François Lyphout préparant un purin de plantes (photo Sud-Ouest)

Source : Mathilde Gracia (Reporterre) mercredi 19 février 2014

L’Etat peine à encourager l’utilisation d’alternatives aux pesticides, telles que les préparations naturelles peu préoccupantes, ou ne veut pas, sous la pression des lobbies de l’industrie phytosanitaire et chimique (voire pharmaceutique et agroalimentaire).

« La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt », examinée au Sénat ce mercredi 19/02 et demain les considère toujours comme des produits phytosanitaires, complexifiant ainsi les procédures d’autorisation.

Purin d’orties, tisanes de plantes, sucre, vinaigre, ail…

Ces recettes naturelles sont utilisées par les agriculteurs et jardiniers français pour protéger leurs cultures de génération en génération.

Mais depuis 2006 ces remèdes 100 % biologiques sont interdits ! Ils doivent préalablement obtenir une autorisation de mise sur le marché au même titre que les pesticides !

Un processus d’évaluation long et coûteux : déposer un dossier pour homologuer une recette revient entre 10 000 à 300 000 euros. Le projet de loi d’avenir agricole discuté au Sénat aujourd’hui et demain ne change rien à la situation; il soumet toujours les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) aux mêmes procédures d’homologation que les pesticides.

Une déception pour l’association ASPRO-PNPP qui milite pour la reconnaissance des alternatives aux pesticides depuis 2009. Elle avait obtenu la présentation d’un amendement qui excluait les PNPP de la réglementation européenne sur les produits phytopharmaceutiques.

Un amendement présenté puis retiré par la députée EELV de Dordogne Brigitte Allain, finalement convaincue par la réponse du gouvernement : « C’est au niveau européen qu’il faut lever les blocages » explique-t-elle.

Pour utiliser du vinaigre et du sucre ? Oh la la… Il faut remplir des dossiers

« On en a marre en 2014 de se battre pour utiliser du vinaigre ou du sucre » se désole Jean-François Lyphout, horticulteur et président de l’ASPRO-PNPP.

Le mouvement de protestation est né de la guerre de l’ortie, une mobilisation qui avait fait suite à l’interdiction du livre d’Eric Petiot, Purin d’orties et Cie.

En 2006, le domicile du paysagiste a été perquisitionné. Motif ? Diffusion de connaissances sur un produit non homologué : le purin d’orties !!!!! La loi d’organisation agricole de 2006 interdit en effet la publicité et la divulgation de recettes sur des produits phytopharmaceutiques non homologués !!!!

On marche sur la tête et on nous prend pour des c … !

De nombreux collectifs d’agriculteurs dénoncent alors une confiscation du savoir. Ils y voient une stratégie des firmes agro-alimentaires pour breveter leurs recettes ancestrales et générer ainsi du profit à leurs dépens.
Leur mouvement alors appelé « guerre de l’ortie » permettra l’apparition de la notion de PNPP dans la loi de l’eau de décembre 2006, censée faciliter les homologations.

Au choix : deux morceaux de sucre ou du Roundup

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Préparation de purin d’ortie –

La France doit toutefois se conformer en priorité à la législation européenne qui prévoit un allégement des procédures pour les préparations naturelles dès 2009. « L’idée était de définir des recettes qui marchent entre les pays européens » analyse Patrice Marchand, expert en substances naturelles à l’ITAB (l’Institut technique de l’agriculture biologique).
A l’inverse de l’ASPRO-PNPP, cet institut considère, lui, que l’homologation des PNPP est nécessaire.

Mais en 2014, seule une recette de purin d’orties (qui déplaît par ailleurs aux professionnels) a été autorisée. Une quinzaine de dossiers ont pourtant été déposés auprès des instances européennes, notamment par l’ITAB.
« Tous les avis rendus par l’EFSA (autorité de sûreté alimentaire européenne) sont négatifs, explique Patrice Marchand, on a l’impression qu’il s’agit de produits phytosanitaires à 2 millions d’euros ».

D’autres membres de l’ITAB sont plus virulents sur la responsabilité de la France. Pour Philippe Guichard, commission intrants santé des plantes et des animaux de l’institut, « c’est une question purement politique », non pas un blocage institutionnel.
Il affirme que la DGAL (direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture), bloque tous les dossiers. « On nous prend pour des imbéciles » commente-il. « Pour la DGAL, deux morceaux de sucre sont plus nocifs pour l’environnement qu’un litre de Roundup ».

« Ils ne veulent pas des savoirs populaires »

L’ASPRO ne veut même pas entendre parler d’homologation. L’association souligne que d’autres pays de l’Union européenne se passent de l’aval de Bruxelles pour autoriser les produits : en Allemagne et en Espagne les gouvernements ont en effet voté des lois simplifiant les procédures d’homologation.

Mais le rapporteur de la loi, le député PS de Dordogne Germinal Peiro, rappelle que la Commission européenne demande aujourd’hui à ces deux pays de se conformer à la législation européenne. « A partir du moment où un produit est mis à la vente, dans une coopérative agricole, dans une jardinerie, il faut que ce produit ait été homologué, il n’y a pas de possibilité de dérogation à cela », expliquait-il dans une interview à la chaîne Telim.tv.

Pour Jean-François Lyphout, également producteur de PNPP, il s’agit surtout du soutien du politique aux lobbies de l’agro-alimentaire qui veulent empêcher les petits producteurs d’utiliser leurs propres produits : « Ils feront tout pour développer l’industrie, ils veulent des produits protégés, ils ne veulent plus du domaine public et des savoirs populaires ».

Lui continue d’utiliser des recettes de plantes pour en protéger d’autres, « Je suis à 100% hors la loi » revendique-t-il.

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