C’est l’histoire d’un « rappel réglementaire » dont se serait bien passé une éleveuse installée dans la Drôme.
Son infraction ?
Soigner son troupeau avec de l’homéopathie ou des huiles essentielles. Cette affaire révèle la jungle réglementaire qui freine l’automédication et le soin par les plantes au profit de médicaments homologués.
Une situation qui, sous couvert de sécurité sanitaire de la chaîne alimentaire, renforce la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur la santé animale. Alors qu’à Genève, l’OMS s’inquiète de la résistance aux antibiotiques qui se généralise sur la planète et appelle à modérer leur usage.
Voici l’histoire.
Des tubes de granulés homéopathiques, quelques flacons d’huiles essentielles et des préparations à base de plantes. Voilà ce qui constitue la pharmacie vétérinaire de Sandrine Lizaga, une éleveuse de 60 brebis en agriculture biologique. Installée près de Bourdeaux, dans la Drôme, Sandrine assure elle-même la transformation en fromages et yaourts, avec l’appui de son mari.
Toute la production est écoulée dans un rayon d’une dizaine de kilomètres autour de la ferme. « J’ai une politique d’ultra-local ! Et j’essaie d’être le plus autonome possible. » Avec ses 52 hectares en zone de montagne – et malgré les « 16 % de pentes » sur la plupart de ses terres – l’éleveuse espère bientôt atteindre l’autonomie en fourrage.
Dotée d’une sensibilité ancienne pour les « remèdes de grand mère », Sandrine a profité de ses formations agricoles pour suivre quelques stages en aromathérapie – thérapie par les huiles essentielles – et en phytothérapie – soins par les plantes. « Savoir soigner ses animaux avec des plantes locales, c’est efficace et c’est beaucoup moins cher que de recourir à l’allopathie », explique-t-elle.
Les économies réalisées ne sont pas négligeables pour Sandrine qui, malgré ses 70 heures de travail par semaine, gagne environ 800 euros par mois. « Toute la philosophie de l’élevage est différente dans le sens où l’on fait beaucoup de préventif en vue d’éviter les maladies. »
Cela ne l’empêche pas de recourir de façon ponctuelle aux antibiotiques. « La tendance est à la main lourde avec les antibiotiques, mais quand ils sont utilisés pour soigner les vraies pathologies, je n’ai rien contre. Je ne suis pas ultra-radicale non plus ! », plaisante-t-elle.
Rappel à l’ordre réglementaire
Le 6 août 2013, deux inspectrices de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) viennent contrôler la ferme de Sandrine.
L’inspection a trait au bien-être animal qui conditionne l’attribution des aides de la politique agricole commune (PAC). « Tout se passait bien jusqu’à ce qu’elles me demandent de présenter ma pharmacie pour les animaux, relate Sandrine. A la vue de mes produits, elles se sont littéralement décomposées ! »
Les deux agents réclament les ordonnances vétérinaires liées à l’utilisation de ces produits. Sandrine rétorque que les huiles essentielles et les granulés homéopathiques sont en vente libre, mais l’argument ne convainc pas.
« Elles m’ont expliqué que je n’avais pas le droit de ramasser des plantes pour faire des décoctions, et que les huiles essentielles étaient dangereuses pour les consommateurs mangeant la viande de mes agneaux et le lait de mes brebis. J’étais tellement abasourdie que je suis restée sans voix. »
Dans leur compte-rendu de visite les agents de la DDPP relèvent une « anomalie pour non présentation d’au moins une ordonnance ».
Un mois plus tard, Sandrine reçoit une lettre de la DDPP qui stipule que « l’utilisation de médicaments homéopathiques et d’huiles essentielles hors prescription » sont non conformes à la réglementation !!!!!
Cela pourrait avoir des conséquences sur le paiement des aides PAC.
Des plantes interdites
L’éleveuse alerte aussitôt la Confédération paysanne de la Drôme qui prend rendez-vous avec la DDPP en vue d’obtenir des éclaircissements. «Les agents de l’État nous ont informés que selon le Règlement UE 230-2013 et une note de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, ndlr) définissant le médicament animal, il fallait à présent une ordonnance d’un vétérinaire pour soigner ses animaux avec des plantes », précise l’éleveur.
L’Union européenne a en effet publié en mars 2013 un règlement imposant le retrait du marché d’environ 600 plantes sous forme d’extraits végétaux ou d’huiles essentielles. L’avoine, la prêle des champs, l’ortie, le trèfle, l’orge ou la luzerne ne sont plus utilisables par exemple dans les aliments complémentaires buvables pour les animaux !!!!!!!
Comment expliquer cette réglementation ?
« Ces extraits végétaux n’ont pas fait l’objet de l’achat d’une homologation par des entreprises », selon Philippe Labre, docteur vétérinaire.
Or, nombre de ces plantes interdites sont alimentaires pour les herbivores et poussent sur les terrains des agriculteurs. « Cela rend leur interdiction techniquement injustifiable, dénonce le vétérinaire. Le problème de cette liste européenne, c’est qu’elle fait l’amalgame entre des plantes non préoccupantes parfaitement connues et quelques plantes toxiques comme la cigüe ».
« Quand je garde le troupeau, les brebis mangent de la prêle, de la fougère, du buis, témoigne Jean-Louis Meurot de la Confédération paysanne. Elles se nourrissent et se soignent en même temps. Faut-il détruire les plantes que les bêtes mangent ? »
L’État s’inquiète d’une « recrudescence » des médecines douces
Le vétérinaire Philippe Labre, n’en démord pas. « Les pouvoirs publics favorisent et renforcent le monopole des médicaments industriels prescrits par les professionnels médicaux. » « Obtenir une autorisation demeure hors de portée pour un producteur de plantes et même pour un petit laboratoire de phytothérapie», confirme Thierry Thévenin du Syndicat des Simples, qui regroupe les « producteurs cueilleurs » de plantes médicinales.
Jean-Louis Meurot, fervent partisan de l’automédication, y voit « la défense des intérêts des industries pharmaceutiques et de la corporation des vétérinaires qui défend becs et ongles le monopole de la prescription ».
Ben, tiens !
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