Turquie, la démocratie s’éloigne-t-elle?

Partager

Turquie2
Source : LE MONDE

Démocratie à la turque.

Incapables de former un gouvernement stable depuis les élections législatives du 7 juin, les Turcs sont de nouveaux appelés aux urnes le 1er novembre pour renouveler leur Assemblée nationale. Contrarié par le vote des électeurs qui l’ont privé d’une majorité absolue au Parlement, le président Recep Tayyip Erdogan a montré qu’il était prêt à tout pour monopoliser le pouvoir, réformer la Constitution et imposer un régime présidentiel.

Car au lieu d’apparaître comme un arbitre au-dessus de la mêlée, le leader de l’AKP, à la tête du pays depuis 2002, a multiplié les provocations et mis les Turcs sous pression, prenant le risque d’abîmer au passage le processus démocratique en Turquie et de bloquer la vie politique en rejetant toute idée de gouvernement de coalition.

L’avenir suspendu à trois défis

Pour sortir de cette impasse, ce qui se joue actuellement à Ankara n’est rien d’autre que l’avenir de la démocratie, suspendu à trois défis.

Le premier défi est institutionnel.

Les Turcs donneront-ils cette fois-ci une majorité absolue à M. Erdogan ? Rien n’est moins sûr. La société turque a changé en une génération. Les classes moyennes se sont enrichies et les Turcs sont ouverts à la mondialisation. Or, au moment où les citoyens turcs semblent se libérer de la domination paternaliste imposée par M. Erdogan, ce dernier se prend pour le successeur du dernier sultan ottoman et entend cadenasser le pays à tous les échelons du corps social.

Le deuxième défi est politique.

Singularité turque, la Constitution a fixé à 10 % le seuil d’entrée au Parlement. M. Erdogan n’a toujours pas digéré le fait que le Parti démocratique des peuples (gauche et prokurde) l’ait déjà franchi une première fois en juin. Il n’est pas le seul, les élites turques ont du mal à accepter l’idée de partager le pouvoir.

Dans son histoire, impériale ou républicaine, la Turquie a toujours considéré que le pouvoir politique relevait du domaine réservé des élites turques centralisatrices. Il est arrivé dans l’histoire qu’un individu issu d’une minorité nationale ou religieuse non musulmane occupe des places prestigieuses dans l’appareil d’Etat.

Mais le fait d’entrer en force au Parlement en tant que groupe constitué – en l’occurrence en tant que parti de la gauche démocratique prokurde – représente pour la nouvelle « Sublime Porte » une sorte de crime de lèse-turcité. Peu d’observateurs en Turquie ou à l’étranger relèvent cette pratique arbitraire et antidémocratique proprement turque.

Enfin, le dernier défi est stratégique

Et soulève de graves questions pour le développement économique de la Turquie en toute sécurité : quelle que soit l’issue du scrutin, rien ne dit que les fractures ouvertes entre le régime et le PKK, mais aussi les tensions entre Ankara et les djihadistes de Daech, qui multiplie les attentats sur le sol turc, se refermeront.

D’autant que les métastases de la guerre en Syrie et en Irak peuvent à tout moment ronger le territoire turc et la stabilité du régime. Ce qui ne sera pas sans effet sur la position de la Turquie par rapport à ces conflits périphériques, ni sans incidence sur le processus d’adhésion – déjà bien compromis – d’Ankara à l’Union européenne.

En juin, les électeurs ont dit non à l’ambition ultraprésidentielle de M. Erdogan.

En véritable ingénieur du rapport de force, il a riposté en bloquant la vie des institutions républicaines. Le 1er novembre, les électeurs peuvent sortir le pays de l’impasse, satisfaire ou non le projet de leur président et se réveiller au lendemain du scrutin dans une Turquie au bord de l’implosion.