Voici un extrait d’un rapport de la Chambre des Communes anglaise sur l’industrie pharmaceutique, dont les conclusions ont été reprises par l’ONU.
« L’industrie pharmaceutique trahit ses responsabilités à l’égard du public et des institutions. Les grandes firmes se sont de plus en plus focalisées sur le marketing, plus que sur la recherche, et elles exercent une influence omniprésente et persistante, non seulement sur la médecine et la recherche, mais sur les patients, les médias, les administrations, les agences de régulation et les politiques. (…) Elle s’est imbriquée dans tout le système, à tous les niveaux. C’est elle qui définit les programmes et la pratique médicale. Elle définit aussi les objectifs de recherche de médicaments sur d’autres priorités que celles de la santé publique, uniquement en fonction des marchés qu’elle peut s’ouvrir. Elle détermine non seulement ce qui est à rechercher, mais comment le rechercher et surtout comment les résultats en seront interprétés et publiés. Elle est maintenant hors de tout contrôle. Ses tentacules s’infiltrent à tous les niveaux. Il faut lui imposer de grands changements. »
Sur les 2.000 médicaments commercialisés (10.000 au total avec les copies), seuls « 200 sont utiles », selon Philippe Even. Michel Thomas, professeur en médecine interne [2] à Bobigny, va plus loin. Il a publié une étude en 2013 recensant 100 médicaments vraiment indispensables.
« On considérait qu’il y avait beaucoup trop de consommation de médicaments en France et qu’il fallait se pencher sur l’essentiel. »
Après validation auprès d’une centaine de médecins internistes français, la liste se réduit aujourd’hui à 85 références, hors traitements de maladies rares et anticancéreux, pour une prise en charge de « 95 % des pathologies de départ ».
Michel Thomas attend avec impatience de voir si, comme prévu dans la loi de santé, une liste des médicaments « préférentiels » inspirés de la sienne verra le jour.
« Le Leem, le syndicat des firmes pharmaceutiques en France, a fait une offensive lors de la discussion de cette loi pour tenter de l’interdire, mais cette proposition a retenu l’aval de l’Assemblée et du Sénat », se félicite-t-il. Reste à savoir quand et comment sera promulguée cette loi de santé, car, comme il le dit, « les décrets d’application peuvent tout changer ».
Manipuler le baromètre thérapeutique
Cette surconsommation de médicaments est encouragée par les labos. Première technique : modifier le seuil à partir duquel le médecin doit prescrire. Prenons l’exemple de l’hypertension, à l’origine de troubles cardiovasculaires, qui représente la moitié du marché médicamenteux de la cardiologie, selon Philippe Even, ex-président de l’institut Necker [1] et fervent militant anticorruption.
« L’industrie, puis les agences de santé et les médecins ont redéfini l’hypertension à 14, contre 16 auparavant. Alors que la tension moyenne de la population se situe aux alentours de 13. Ça a l’air de rien comme ça, je n’arrive pas à réveiller les gens à ce sujet, mais qu’est-ce que cela signifie ? »
Le professeur émet un bref silence avant de hausser le ton. « Cela veut dire quadrupler le marché des antihypertenseurs, parce qu’il y a quatre fois plus de gens qui ont une tension entre 14 et 16 ! »
Inventer de nouvelles maladies pour de nouveaux marchés
Autre tendance, la transformation de facteurs de risque en maladies.
Exemple phare : le cholestérol, « notre ennemi à tous ». Parmi les traitements «blockbusters», le Crestor, du laboratoire Astrazeneca. Il est la troisième référence pharmaceutique la plus commercialisée au monde. Cette pilule anticholestérol fait partie de la famille des statines, prescrites à outrance et souvent à vie. « Cinq millions de gens sont traités avec des statines en France, explique Claude Malhuret. Contre un million seulement qui en auraient besoin. » Seules les personnes qui ont déjà eu un accident cardiovasculaire devraient en consommer, selon lui. Quid des quatre millions de personnes qui en prennent inutilement ?
Les effets secondaires recensés sont lourds : insuffisance rénale, troubles musculaires, cognitifs, hépatiques, impuissance, myopathie, cataractes. Le sénateur enchérit : « Le jour où toutes ces personnes âgées qui consomment des statines et autres somnifères vont mourir d’un accident médicamenteux, personne ne va s’en occuper ou bien même s’en soucier. Elles seront mortes de vieillesse, comme tout le monde ! »
20.000 accidents dus à de mauvaises prescriptions sont recensés chaque année en France. Un chiffre sous-estimé selon Michèle Rivasi, députée européenne EELV, « du fait des carences de notre système de pharmacovigilance ».