L’Amérique a cessé de nous fasciner pour mieux nous inquiéter

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Source : Laurent Sagalovitsch SLATE.fr
Temps de lecture: 2 min

Jusqu’à quand va-t-elle dégringoler

La simple question qui mériterait d’être posée quand on en vient à disserter sur l’Amérique serait de se demander jusqu’à quand elle va dégringoler de la sorte. Jusqu’à quand va-t-elle aller à rebours de son histoire et emprunter des chemins qu’on croyait réservés à des nations européennes assez folles dans leur furie nationaliste pour avoir adopté dans le passé des comportements si immondes que leur souvenir continue encore de leur coller à la peau?

Jusqu’à quand cet immense pays qui nous a donné Melville et Faulkner, Ford et Griffith, Pollock et Hopper, va-t-il se comporter comme une petite colonie mafieuse qui, de paroles fielleuses en postures indignes, de renoncements en rapiècements, d’accusations fantoches en élucubrations grotesques, sombre peu à peu dans une sorte de grand foutoir sans queue ni tête dont on aurait bien du mal à saisir la logique, si ce n’est celle d’imposer sa force, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, par une sorte de tropisme triomphant qui serait celui du grand homme blanc outragé?

On ne bâtit pas un pays sur la haine ni sur la division, pas plus qu’on ne se projette dans le monde avec comme seul principe celui de faire triompher ses intérêts au mépris de toute autre considération, emporté par une sorte d’aveuglement furieux où l’on piétine allègrement des accords internationaux quand ce ne sont pas des amitiés vieilles parfois de plusieurs siècles.

Les signes avancés d’une maladie dégénérative

C’est à se demander si l’Amérique n’est pas en train de payer toute cette accumulation de culture au rabais qui de Facebook en Twitter, de Netflix en films de superhéros, de malbouffe en abondance de publicités d’une niaiserie sans fond, d’outrance en vulgarité, provoque des dégâts tels dans les psychés individuelles que le pays, saturé de mauvaises graisses, apparaît comme inapte à articuler ne serait-ce que le début d’une pensée cohérente. Trump n’a pas été élu par hasard. Il est le résultat d’un grand dérèglement culturel qui a irrigué si profondément l’âme du pays qu’il ne semble plus être en mesure de surseoir à sa lente et longue agonie.

Toute cette débauche de programmes débilitants à souhait, tout ce foisonnement de nouvelles technologies qui permettent à la haine ordinaire de se propager et de se répandre à la vitesse de l’éclair, tout cet obscurantisme de la pensée qui défie la science et les savoirs, tout ce triomphe de l’ignorance présent à tous les échelons de la société, sont les signes avancés d’une maladie dégénérative dont les conséquences se font peu à peu sentir, dans cette sorte de repli sur soi furieux qui exclut de son chemin tous ceux qui auraient le tort de ne pas penser comme la majorité silencieuse.

À force d’avoir renoncé à élever les gens par le haut, à force de leur servir de la mélasse outrancière et sans saveur, à force de les engrosser à coups d’objets culturels qui ont fait le deuil depuis bien longtemps d’amener les individus à réfléchir par eux-mêmes, à force de rogner sur les fondamentaux nécessaires à l’émancipation de la pensée, à force de divorcer d’avec le réel pour s’abîmer dans des fantasmagories où triomphent des êtres sans aucune consistance intellectuelle, on en arrive à une Amérique qui a cessé de nous fasciner pour mieux nous inquiéter.

Reste à savoir si elle a touché le fond ou si elle peut rejoindre dans l’infamie ce que fut l’Allemagne au siècle passé.

Question cruciale à laquelle on aura bien vite la réponse.