Dix-septième siècle, la dynastie Ming en est à ses derniers essoufflements. En exil chez les moines taoïstes depuis de nombreuses années, un homme, Dao-Sheng, expert en médecine et divination, quitte la montagne pour retrouver, nostalgique, la seule femme qu’il ait réellement aimée.
Trente ans plus tôt, alors qu’il faisait partie d’une troupe de musiciens, son regard croise celui d’une jeune femme vêtue de rouge, Lan-Ying, descendante des Lu et future épouse du Deuxième Seigneur de la famille Zhao. Il n’en faut pas plus pour faire naître en lui des sentiments qu’il ne pourra effacer au fil des ans, même lorsque le futur mari, conscient du trouble entre les deux jeunes gens, envoie au bagne Dao-sheng. Evasion et refuge chez les moines taoïstes lui feront passer les ans jusqu’à ce qu’il ne puisse plus résister au besoin de revoir le visage de Lan-Ying.
C’est une femme généreuse, souffrante et épuisée par les humiliations d’un mari qui l’a depuis longtemps délaissée, qu’il retrouvera. Faisant acte de ses dons de guérisseurs, il sera à son chevet pendant des semaines. Découverte l’un de l’autre, découverte des âmes, du « Souffle » qui les habite chacun et se communique par le simple contact des paumes.
Bouleversement, questionnement, angoisse de se laisser aller sur la voie de l’adultère lorsque l’amour et la passion n’ont d’autre égal que le respect mutuel mais Lan-Ying vient pourtant chaque jour au temple pour apercevoir l’homme aimé. Tout est dans le regard, dans le tacite.
C’est la complétude des âmes qui procure félicité au-delà même du contact charnel. La rencontre de Dao-sheng avec un des premiers missionnaires jésuites aidera sa remise en question personnelle et sa manière de considérer son amour.
Mais c’est sans compter ce mari égoïste et tyrannique que la soudaine sérénité de l’épouse rend aigre et jaloux, sa décrépitude ne pouvant souffrir la grâce et la beauté renouvelée chez la femme répudiée…
« L’éternité n’est pas de trop » est un roman tout de légèreté et de poésie. Mêlant amour, foi et spiritualité, il laisse un message au profit du dépassement de l’amour charnel. Douceur des mots autour de la dureté d’un amour impossible. Beauté, langueur, grâce, voilà ce que m’évoque ce roman de François Cheng. Place libre à l’esprit dans cette histoire comparée avec justesse à un Tristan et Iseult oriental.
Un beau roman.
Extrait :
« La main, ce digne organe de la caresse, ce qu’elle caresse ici n’est pas seulement une autre main, mais la caresse même de l’autre. Caressant réciproquement la caresse, les deux partenaires basculent dans un état d’ivresse qui a peut-être été rêvé dans l’enfance, ou alors dans une avant-vie. Les veines entremêlées irriguant le désir se relient aux racines profondes de la vie ; les lignes entrecroisées qui prédisent le destin tendent vers le lointain, jusqu’à rejoindre l’infini des étoiles. »
François Cheng (nom d’auteur, en chinois : 程抱一, « Qui embrasse l’Unité », Chéng Bàoyī en transcription phonétique pinyin), né le 30 août 1929 en Chine, à Jinan dans la province de Shandong, est un écrivain, poète et calligraphe chinois naturalisé français en 1971. Prix Femina (1998), Grand prix de la francophonie de l’Académie française (2001), membre de l’Académie française (fauteuil 34)