Les perturbateurs endocriniens au cœur d’un scandale européen

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D’après l’article paru dans www.lemonde.fr – 5 Octobre 2013

Le dossier est si explosif qu’il est désormais entre les mains du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Sa conseillère scientifique, Anne Glover, devrait ainsi réunir dans les prochains jours l’ensemble des scientifiques impliqués dans une violente controverse aux enjeux économiques de taille : quelle position les Etats membres doivent-ils adopter vis-à-vis des perturbateurs endocriniens ?

Qu’est-ce que c’est des perturbateurs endocriniens ?

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des molécules capables de mimer l’action des hormones. Ils proviennent essentiellement des activités humaines et on en trouve notamment dans les plastiques, les rejets industriels, les pesticides… Leurs noms vous sont sûrement tristement familiers: bisphénol A, PCB, phtalates, distilbène…
Il y en a partout, cosmétiques, jouets, emballages plastiques, médicament, nourriture infantile, dentifrice, peintures, insecticides, alimentation du bétail, vêtements, rejets d’usines, meubles, gels douche, OGM, produits pharmaceutiques et médicaments …

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OU EN EST-ON ?

Bruxelles doit statuer d’ici à la fin de l’année sur les mesures destinées à protéger les Européens des effets de ces substances – plastifiants, cosmétiques, pesticides, etc. – qui interfèrent avec le système hormonal, à l’instar du bisphénol A qui sera définitivement interdit, en France, dans les conditionnements alimentaires, en 2015 ! Pour quoi pas avant ?

La polémique a atteint ces derniers jours une intensité inédite. Certains membres de la communauté scientifique accusent – à mots couverts – plusieurs de leurs pairs de manœuvrer en faveur des intérêts industriels, au mépris de la santé publique.

LA SCIENCE EST DEVENUE L’ENJEU D’UNE GUERRE

La bataille a débuté cet été avec la publication, dans plusieurs revues savantes, d’une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues (professeurs ou membres d’organismes publics de recherche) critiquent les mesures en discussion à Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées ». Les signataires, menés par le toxicologue Daniel Dietrich (université de Konstanz, Allemagne), contestent notamment que ces molécules puissent avoir des conséquences délétères à des doses très faibles.

Ces effets sont pourtant au centre de nombreuses investigations scientifiques depuis une quinzaine d’années et sont reconnus par un rapport publié conjointement en 2012 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). En particulier, chez l’animal, l’exposition in utero à certaines de ces molécules, à doses très faibles, accroît les risques de survenue de certaines pathologies plus tard dans la vie – cancers hormono-dépendants, obésité, troubles neurocomportementaux, etc.

Le texte des dix-huit chercheurs a immédiatement provoqué une levée de boucliers. Et une suspicion considérable. « Le problème des « intentions dissimulées » s’est accentué en même temps que s’est accrue la capacité de la science à peser sur la régulation des polluants et que la recherche académique dépend de plus en plus du soutien financier de l’industrie, écrivent, dans la revue Environmental Health, Philippe Grandjean (Harvard Public School of Medicine, University of Southern Denmark) et David Ozonoff (Boston University), professeurs de santé environnementale et responsables de la publication. La science est devenue l’enjeu d’une guerre dont la plupart des batailles se jouent derrière la scène. »

PAS MOINS DE 18 CONTRATS DE CONSULTANT ENTRE 2007 ET 2012

Dans la même édition d’Environmental Health, une quarantaine de toxicologues et d’endocrinologues publient une autre réponse cinglante, pointant que le texte de Daniel Dietrich et de ses coauteurs relève d' »une volonté d’influer sur des décisions imminentes de la Commission européenne ». Une centaine d’autres scientifiques estiment, eux, dans un éditorial du dernier numéro de la revue Endocrinology, que le texte de M. Dietrich et de ses coauteurs « représente la science de manière trompeuse ».

Surtout, les répliques adressées aux dix-huit chercheurs s’indignent de ce que ces derniers n’ont pas divulgué – comme d’usage dans les revues scientifiques – leurs liens d’intérêt avec les industriels potentiellement concernés par une nouvelle réglementation. « C’est ce qu’ont fait les vingt-cinq scientifiques, dont je faisais partie, qui ont rédigé en 2012 le rapport de l’OMS et du PNUE, précise Ake Bergman (université de Stockholm). C’est aussi ce qu’ont fait tous les signataires – dont je fais partie – de la réponse envoyée à M. Dietrich et à ses coauteurs. »

Les liens de ces derniers avec l’industrie ont finalement été rendus publics. Fin septembre, une enquête de l’agence Environmental Health News (EHN) a révélé que dix-sept des dix-huit auteurs entretenaient des relations financières avec « des industriels de la chimie, de la pharmacie, des cosmétiques, du tabac, des pesticides ou des biotechnologies ».

LETTRE OUVERTE À LA CONSEILLÈRE SCIENTIFIQUE DE M. BARROSO

Certains ont vu leur laboratoire financé par des entreprises, d’autres ont bénéficié de rémunérations personnelles au titre de consultant ou de conseiller scientifique. Le toxicologue Wolfgang Dekant (université de Würzburg, Allemagne), par exemple, a enchaîné, selon les informations recueillies par EHN, pas moins de dix-huit contrats de consultant entre 2007 et 2012 avec des sociétés dont il n’a pas divulgué l’identité. Et la liste ne s’arrête pas là. M. Dietrich et ses coauteurs sont aussi à l’initiative d’une lettre ouverte à Anne Glover, signée par une cinquantaine d’autres scientifiques. Selon un premier criblage effectué par EHN, au moins une quarantaine d’entre eux ont aussi des liens avec des industriels.

« Les estimations les plus récentes suggèrent que près d’un millier de molécules pourraient être des perturbateurs endocriniens, explique M. Grandjean. De nombreux secteurs peuvent donc être impliqués. » Le chercheur, une des figures de la recherche en santé environnementale, dit ne pas être surpris des collaborations de M. Dietrich et ses coauteurs avec les milieux industriels, mais s’étonne « qu’ils ne collaborent apparemment pas avec des ONG ou des associations de patients ».

LES ZONES D’OMBRE S’ÉTENDENT AUSSI AU SEIN DE LA COMMISSION

M. Dietrich n’a pas souhaité répondre au Monde. L’un des coauteurs, Wolfgang Dekant, assure qu’il n’y a eu « aucune implication de l’industrie, formelle ou informelle », dans l’initiative ou la rédaction du texte.
Les zones d’ombre s’étendent aussi au sein de la Commission. La députée européenne Michèle Rivasi (EE-LV), ainsi que d’autres parlementaires, vont adresser dans les jours qui viennent une question écrite à José Manuel Barroso pour demander la publication de la déclaration d’intérêts d’Anne Glover, sa conseillère scientifique. Des éléments pour le moment non communiqués sur le site de la Commission.

A Bruxelles, on indique que seuls les commissaires sont tenus de rédiger et de rendre publique une déclaration d’intérêts. Il a été précisé au Monde que José Manuel Barroso avait choisi Anne Glover à l’issue d’un « processus de recrutement rigoureux ».

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