Le débat du cueur et du corps de Villon

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Villon3
Gravure sur bois figurant en tête de ses œuvres publiées par Jean Tréperel en 1497.
(Bibliothèque nationale de France, Paris.) Ph. Coll. Archives Larbor

Le débat du cueur et du corps de Villon

Qu’est-ce que j’oy ? « ― Ce suis-je. » ― Qui ? « ―Ton cueur,
Qui ne tient mais qu’à ung petit filet;
Force n’ay plus, substance ne liqueur,
Quant je te voy retraict ainsi seulet
Com povre chien tappy en recullet. »

― Pourquoy est-ce ? « ― Pour ta folle plaisance. »
― Que t’en chault-il ? « ― J’en ai la desplaisance. »
― Laisse m’en paix ! « ― Pourquoi ? » ― J’y penseray.
« ― Quand sera-ce ? » ― Quant seray hors d’enfance.
« ― Plus ne t’en dis. » ― Et je m’en passeray.

« ― Que penses-tu ? » ― Estre homme de valeur.
« ― Tu as trente ans: c’est l’aage d’un mulet;
Est-ce enfance ? »/em> ― Nennil. « ― C’est donc foleur
Qui te saisit ? »
― Par où ? « ― Par le collet. »
― Rien ne congnois. « ― Si fait. » ― Quoi ? « ― Mouche en laict ;
L’ung est blanc, l’autre est noir, c’est la distance. »
― Est-ce donc tout ? « ― Que veulx-tu que je tance*? ______________*réprimande
Se n’est assez, je recommenceray. »

― Tu es perdu! J’y mettrai resistance.
« ― Plus ne t’en dis. » ― Et je m’en passeray.

J’en ay le dueil; toy le mal et douleur.
Se fusses ung povre idiot et folet,
« ― Encore eusses de t’excuser couleur:
Si n’as tu soing, tout t’est ung, bel ou let.
Ou la teste as plus dure qu’ung jalet*, ________________________*galet
Ou mieulx te plaist qu’onneur ceste meschance!
Que respondras a ceste consequence? »

― J’en serai hors quand je trespasseray.
« ― Dieu, quel confort! Quelle sage eloquence!
Plus ne t’en dis. »
― Et je m’en passeray.

« ― Dont* vient ce mal ? » ― Il vient de mon maleur. ______________________*d’où
Quant Saturne me feist mon fardelet,
Ces maulx y meist, je le croy. « ― C’est foleur;
Son Seigneur es, et te tiens son varlet.
Voy que Salmon escript en son rolet:
«Homme sage, ce dit-il, a puissance
Sur planetes et sur leur influence.»

― Je n’en croy rien; tel qu’ilz m’ont faict seray.
« ― Que dis-tu? » ― Des! certes, c’est ma créance.
« ― Plus ne t’en dis. » ― Et je m’en passeray.

« ― Veulx-tu vivre ? » ― Dieu m’en doint la puissance !
« ― Il te fault…» ― Quoy? « ― Remors de conscience,
Lire sans fin. »
― En quoy ? « ― Lire en science,
Laisser les folz! »
― Bien, j’y adviseray.
« ― Or le retiens. » ―- J’en ay bien souvenance.
« ― N’attends pas tant que tourne a desplaisance.
Plus ne t’en dis. »
― Et je m’en passeray.