Perturbateurs endocriniens: j’en remets une couche !

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Source : Le HuffPost | Par Sara Taleb

Vous vous en foutez ? Vous avez tort !

SANTÉ – Bisphénol A, phtalates, paraben entre autres. Les noms de ces substances chimiques vous disent peut-être quelque chose. En France, la première a été interdite dans les biberons en 2010 et est censée être absente des contenants alimentaires depuis le 1er janvier 2015. Les deux autres sont régulièrement nommées dans des campagnes de publicité pour cosmétiques qui se vantent de les bannir de leur composition.

Ces molécules sont ce qu’on appelle des perturbateurs endocriniens (PE). Derrière ce nom un peu froid et à rallonge se cachent des substances controversées, présentes dans de nombreux objets de notre quotidien, qui posent une question de santé publique. Depuis plusieurs années, des scientifiques alertent sur les effets des PE sur notre système hormonal qu’ils, comme leur nom l’indique, perturbent. Ce jeudi 12 mars, la journaliste Marine Jobert et le porte-parole de l’association Générations futures ont publié un livre grand public et très pédagogique aux éditions Buchet Chastel à leur sujet. Dans « Perturbateurs endocriniens, la menace invisible », ils expliquent pourquoi nous devrions nous intéresser à eux.

Un système hormonal détraqué

Pour comprendre la controverse autour des perturbateurs endocriniens, il faut d’abord comprendre ce qu’ils sont et comment ils agissent sur notre corps. « La santé dépend du bon fonctionnement du système endocrinien, qui régule la sécrétion d’hormones essentielles, par exemple, au métabolisme, à la croissance, au développement, au sommeil et à l’humeur », rappelle l’Organisation mondiale de la santé. Or, « certaines substances, connues sous le nom de perturbateurs endocriniens, peuvent perturber une ou plusieurs fonctions du système endocrinien et ainsi accroître le risque de survenue de problèmes de santé », ajoute l’OMS.

Concrètement, que font-elles de mal ces molécules?

Sans trop rentrer dans les détails, du fait de leur impact sur le système hormonal, les PE sont « suspectés de favoriser cancers, diabète, obésité et autres maladies de la reproduction », soulignent Marine Jobert et François Veillerette dans leur livre. « Suspectés » car le lien de causalité entre PE et ces maladies chroniques est compliqué à prouver selon Marine Jobert. « C’est pour cela qu’on parle de menace invisible ». « Dans la soupe chimique dans laquelle nous vivons, on ne peut par exemple pas prouver que c’est parce qu’une femme enceinte a été exposée à tel produit chimique, que son enfant, ou ses petits enfants sont atteints de telle maladie », détaille-t-elle.

Theo Colborn, la pionnière

Mais attention, cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d' »une marotte d’écologistes alarmistes », prévient-elle.
« Des milliers de scientifiques ainsi que de nombreuses agences sanitaires ont soulevé le problème des perturbateurs endocriniens et montré qu’ils favorisaient » les maladies citées ci-dessus, tient-elle fermement à rappeler. Il faut retourner quelques années en arrière pour trouver les premiers travaux sur le sujet. A la fin des années 80, la zoologiste américaine Theo Colborn travaille sur l’impact des polluants sur les animaux et la végétation des Grands Lacs.

Dans ces zones, des animaux présentent des malformations génitales, se comportent de manière anormale et manquent même pour certains de disparaître notamment par défaut de reproduction. Censée travailler sur les effets cancérigènes de la pollution, Theo Colborn s’oriente vers une autre piste. Selon elle, c’est du côté des dérèglements hormonaux qu’il faut regarder. Pour confirmer son idée, elle rassemble en 1991 une vingtaine de scientifiques qui vont plancher sur le sujet. A l’issue de leur séminaire, ces scientifiques rédigent une déclaration dans laquelle ils alertent sur ce qu’ils nomment les « perturbateurs endocriniens ».
« Un grand nombre de produits chimiques de synthèse libérés dans la nature, ainsi que quelques composés naturels, sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux, y compris celui de l’homme »
, écrivent-ils.

Depuis les travaux de Theo Colborn, « la perturbation endocrinienne est devenue le cœur d’une intense recherche académique, qui ne cesse d’étayer les premiers intuitions de la biologiste », indique Le Monde rappelant qu’en 2014 « il s’est publié dans la littérature scientifique près d’un millier d’études sur le sujet ».

Les PE sont partout

Le problème avec les perturbateurs endocriniens, c’est que non seulement ils sont nombreux mais en plus ils sont partout.
Pesticides, phtalates, paraben, bisphénol A, retardateurs de flammes, triclosan et autres molécules aux noms barbares se retrouvent dans l’air, l’eau, la nourriture mais aussi dans les objets et produits du quotidien, de votre canapé à votre lunchbox en plastique qui va au micro-onde en passant par votre crème de jour.
Impossible d’y échapper. Un peu inquiétant quand on sait que même à des doses très faibles les PE peuvent agir sur le corps.
Plusieurs études, dont la dernière en date de Générations futures, ont déjà montré à quel point nous étions exposés. « Il ne faut pas tomber dans la panique pour autant », rassure Marine Jobert, contactée par le HuffPost. « Il y a certains moments où on est plus exposés que d’autres: la grossesse, la petite enfance et l’adolescence. Et c’est à ces moments-là qu’il faut faire attention ».

Comment?

En mangeant bio pour éviter les pesticides, en aérant au maximum son intérieur, en préférant le verre, le bois ou l’inox plutôt que le plastique pour les ustensiles de cuisine par exemple. « Il ne faut pas s’arrêter de vivre, il y a juste une étape à passer », ajoute la journaliste qui a listé avec son co-auteur une série de conseils pour réduire son exposition.

De l’adolescence à l’âge adulte de la chimie

Si les perturbateurs endocriniens sont si nocifs pour la santé, pourquoi ne sont-ils pas plus connus d’une part, et mieux réglementés d’autres part ? « C’est un sujet complexe qui tarde à entrer dans le débat public pour plusieurs raisons. On parle de termes pas évidents, un peu barbares. Et c’est un sujet vertigineux qui vient interroger nos modes de vie, chose que tout le monde n’a pas envie de faire », souligne Marine Jobert.

En effet, la question des perturbateurs endocriniens révèle notamment à quel point nous sommes entourés d’objets ou de produits issus de l’industrie de la chimie. « Prenons la matière plastique. Dans les années 20 environ, les premiers plastiques provoquent un enthousiasme fou grâce à leur propriété. Ils peuvent être mous, durs, incassables etc. Ce qui, petit à petit, a conduit, dans les années 70, à mettre sur le marché des centaines de milliers de substances sans qu’on se pose la question de leurs conséquences. C’étaient des années d’insouciance, une sorte d’adolescence de la chimie. Maintenant qu’on est à l’âge adulte, il est temps de se poser certaines questions, qui nécessairement remettent en cause notre ‘way of life' », raconte la journaliste.

La réglementation? En attente dans les couloirs de l’Europe

Par ailleurs, ajoute-t-elle pour expliquer la faible visibilité du débat, « très peu de politiques s’attaquent à la question. Pour la très grande majorité, c’est un sujet qui les indiffère ».
Il y a bien eu l’interdiction du bisphénol A dans les biberons, initiée par le député PS Gérard Bapt, mais quid des autres molécules? Et pour ce qui est de la nouvelle réglementation interdisant le bisphénol A dans les contenants alimentaires, Marine Jobert et François Veillerette doutent qu’elle soit vraiment effective. Car qui dit bannir un PE, dit qu’il faut le remplacer par autre chose. Mais s’il s’agit de le remplacer par une molécule dont on ne connaît pas encore les effets pour la santé, le problème reste le même, analyse François Veillerette.

L’économie plutôt que la santé en somme.

Sans compter que c’est une réglementation à l’échelle européenne qui est nécessaire selon le porte-parole de Générations futures. Et de ce côté-là, les choses vont lentement. En décembre 2013, la Commission européenne était censée se prononcer sur les critères de définition des PE afin de pouvoir légiférer. Sauf qu’à cause de pressions, exercées de différentes manières par le lobby de la chimie, la Commission a reporté la définition des critères (ce qui lui a valu un recours en carence, sorte de plainte, initié par la Suède). En attendant, elle planche sur une évaluation des conséquences socio-économiques sur la filière si jamais on en venait à interdire certains PE.

Sauf que les conséquences des PE sur la santé ont elles aussi un coût, et pas seulement humain. Le 5 mars, une série d’études conduite par une vingtaine de chercheurs américains et européens a évalué à 157 milliards d’euros le coût pour l’Union européenne des maladies liées aux perturbateurs endocriniens, soit 1,23% du PIB. « Les auteurs, qui ne font pas mystère des marges d’incertitudes inhérentes à ce genre de calculs, placent la fourchette haute de leur estimation à quelque 270 milliards d’euros annuels, soit 2 % du PIB européen », écrit Le Monde. Peut-être que cet argument-là pèsera plus lourd que le reste?