Le poison est toujours moins cher !

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Le poison est moins cher

Piment moulu aux crottes de rats, thé bio aux pesticides… Christophe Brusset, ingénieur de l’agroalimentaire, publie un livre, sur les « petits secrets » de l’industrie.

Selon vous, nous ne savons pas ce que nous mangeons. Il suffit pourtant de regarder les étiquettes…


Non, tout n’est pas écrit. Et quand c’est écrit, c’est souvent incompréhensible pour le consommateur : E150, E110, E112… Même pour moi, il est difficile de savoir ce que l’on retrouve vraiment dans un produit préparé. Il y a une infinité de matières premières, d’additifs… et cela bouge sans arrêt. Vous savez ce qu’est de la « gousse de vanille épuisée » ?

Non…


Ce sont ces petits points noirs que l’on trouve dans les glaces, par exemple. Il s’agit d’une vanille moulue dont on a extrait l’arôme avec un solvant – l’hexane – un produit chimique cancérigène. Et ce résidu, qui est un déchet, on vous le met dans la crème glacée pour la rendre plus « authentique ». Les traces d’hexane n’apparaissent pas dans les ingrédients.

Pourquoi ?


Il y en a très peu. Le législateur considère que, si un élément rajouté se retrouve dans le produit fini à l’état de traces, il n’est pas obligatoire de le déclarer. On appelle ça des « auxiliaires technologiques ». C’est le cas des solvants, des agents de démoulage (pour éviter qu’un biscuit colle au moule), agents anti-mousse, clarifiants, humectant, certains conservateurs…. Il est pourtant connu et démontré que nombre de ces molécules sont nocives, allergisantes et peuvent incommoder certaines personnes sensibles.

On trafique donc les produits en toute légalité ?


Oui, cela commence par l’utilisation massive d’additifs : pour épaissir, conserver, colorer, baisser les calories, faire croustiller… Eux doivent être déclarés, en revanche. Il n’existe pratiquement aucun produit alimentaire qui n’en contienne pas au moins un.

Il existe plus de 300 additifs autorisés. Ils ne sont donc pas dangereux ?


A priori non. Mais, plus on les étudie, plus on s’aperçoit qu’ils peuvent l’être. Prenons le cas des colorants azoïques, cinq fois plus vifs et bien moins chers que les colorants naturels. Jusqu’au 10 juillet 2010, ces molécules « ne représentaient pas de danger pour la santé ». Désormais, elles peuvent « avoir des effets indésirables sur l’activité et l’attention chez l’enfant ». De quels « effets » parle-t-on et à quelle dose ? En attendant, les azoïques continuent à être utilisés, notamment en confiserie. Il suffit de le mentionner sur le paquet.

Quel intérêt de recourir à ces substances ?


C’est parfois esthétique, mais cela permet surtout de baisser les coûts. Les additifs facilitent l’ajout d’ingrédients pas chers. Et le moins cher des moins chers, c’est l’eau. Lorsque vous fabriquez des produits qui peuvent en absorber – charcuterie, laitages, plats industriels, glaces, filets de poisson surgelés… -, vous avez tout intérêt à le faire pour gagner en productivité. Mais il faut ensuite ajouter des additifs pour stabiliser.

C’est-à-dire ?


Quand vous « gonflez » du jambon, pour que l’eau reste à l’intérieur, on injecte des texturants. Et, pour que le produit ait un peu de goût, il faut ajouter des arômes : « nature », « fumé », « aux herbes »… Et des colorants pour le rendre plus appétissant.

Même un produit naturel comme le miel peut être bidouillé ?


Oui, il lui arrive d’être coupé avec de l’eau et du sucre artificiel. Mais, là, c’est une fraude, donc c’est illégal. Une étude de Que Choisir de 2014 a pourtant montré que 30 % du miel en rayon était frauduleux. Et personne ne fait rien !

Les « spécialités régionales » n’en sont pas toujours, dites-vous ?


La moutarde de Dijon, par exemple, est une recette, pas une origine géographique. La nôtre était fabriquée en Hollande et en Allemagne, avec des graines canadiennes. Les escargots « de Bourgogne », c’est une espèce que l’on trouve partout. Moi je les achetais en Turquie et en Europe de l’Est. Pareil pour les cèpes « de Bordeaux » : des boletus edulis achetés en Chine. Les herbes « de Provence » ? De la marjolaine d’Égypte, du thym du Maroc, du Romarin de Tunisie. Trompeur, mais tout à fait légal.

Et vos piments aux poils et crottes de rats ?


C’était une pollution sur un lot acheté en Inde. Il arrive que des rongeurs ou des oiseaux se retrouvent dans les entrepôts de stockage. Et comme on ne jette pas la marchandise – il y en avait pour 80 000 € – il a fallu trouver une solution. On a tout broyé finement et on l’a mélangé à de la bonne qualité. On a revendu ça en « poudre de piment ».

Légal ?


Personne ne nous a rien demandé et, comme on a toujours droit à un petit pourcentage de « matières étrangères » – poussière, brindilles, fragments d’insectes -, c’est passé tout seul. La tolérance de matières étrangères est généralement de 0,2 % ou 0,5 %.

Parfois, on retrouve des pesticides là où on ne les attend pas…


Cela nous est arrivé sur du thé bio au citron. Le thé était bon, mais pas les extraits naturels d’agrumes qui avaient été traités. Les 50 000 boîtes ont été écoulées.

C’est monnaie courante ?


On estime qu’entre 3 % et 6 % des produits vendus en rayons dépassent la limite autorisée sur les pesticides.

Il arrive aussi que l’emballage soit en cause…


J’avais eu le problème sur des cartons recyclés. On a retrouvé des hydrocarbures d’huiles minérales, cancérigènes et génotoxiques, dans des lentilles. Elles avaient été contaminées dans le paquet. Les cartons recyclés contiennent des vernis, des encres qui peuvent migrer vers le produit. Mieux vaut choisir des cartons bruns ou blancs, faits avec des fibres vierges.

Pourquoi ce livre, pour régler des comptes ?


Non, je suis reconnaissant aux entreprises qui m’ont fait vivre. Mais j’étais témoin de choses étonnantes, que je ne pouvais raconter qu’à mes proches. Pas publiquement, si je voulais garder mon emploi. Et aujourd’hui encore, je ne cite pas leur nom, pour éviter les procès. Attention, tout le monde ne travaille pas mal. Je veux juste sensibiliser les gens, parce que les contrôles ne révèlent pas tout.

Vous achetez en supermarché ?


Oui, mais j’évite les produits premier prix et tout ce qui est chinois ou indiqué « hors union européenne ». J’ai énormément acheté là-bas et je connais la qualité. Sans parler des nombreux scandales : peintures toxiques dans les petits pains, porcs aux anabolisants cancérigènes, choux-fleurs au formol, lait contaminé à la mélamine… La charcuterie bas de gamme ou les plats préparés, je n’achète pas non plus. Je cuisine au maximum !


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