Sur l’auteur
José de Sousa Saramago est un écrivain et journaliste portugais, né le 16 novembre 1922 à Azinhaga (Portugal) et mort le 18 juin 2010 à Lanzarote (îles Canaries Espagne). Il reste à ce jour l’unique auteur lusophone (parlant portugais) à avoir reçu le prix Nobel de littérature.
L’histoire.
Commençons par résumer rapidement l’histoire : dans un pays indéterminé, un 1er janvier, la mort s’est mise en grève.
Plus personne ne meurt à l’intérieur des frontières. Mais cela ne veut pas pour autant dire que l’on ne vieillit plus ou que l’on n’est plus malade. Impossible pour les agonisants de passer de vie à trépas.
À première vue, cela pourrait passer pour une bénédiction, mais c’est un leurre dont la population va rapidement se rendre compte. À commencer par les entrepreneurs de pompes funèbres qui se retrouvent du jour au lendemain au chômage technique. S’il n’y avait que cette corporation qui avait à souffrir de cette nouvelle situation, le pays pourrait à la limite se satisfaire de cette étrangeté.
Mais la mort est une pierre fondatrice de nos sociétés ; sans elle toute l’économie du pays est mise en faillite :
– Comment gérer les hôpitaux et les maisons de retraite surpeuplés ?
– Que faire de ces agonisants qui refusent de passer dans l’au-delà ?
– Pourquoi payer des assurances vie qui ne servent plus à personne ?
– Et surtout, comment justifier pour l’Église cette foi qui ne repose que sur la promesse d’un paradis après la vie ?
Le premier ministre et son équipe feront face tant bien que mal et tenteront de trouver des solutions.
Mais au bout de six mois, la mort (avec une minuscule s’il vous plaît) décide de reprendre son activité. Et là encore, rien n’est simple… Mais la plus grande surprise est finalement pour la faucheuse qui rencontre un violoncelliste qui refuse de mourir !
Que dire de cette histoire ?
« Les intermittences de la mort » fait partie de ce que la littérature a de meilleur.
L’idée de départ pourrait s’apparenter à un sujet de bac philosophie. Jose Saramago démontre avec maestria tout ce que ce rêve peut avoir d’inconsidéré ; il n’omet aucune situation et propose une réflexion riche et pertinente sur notre rapport à la mort et la vie. Mais ce qui est magistral dans ce récit, c’est la façon dont l’auteur nous la livre.
L’écriture de Jose Saramago est extrêmement dense : chaque chapitre est un paragraphe de plusieurs dizaines de pages, sans retour à la ligne, sans démarcation physique pour les dialogues (seules les majuscules nous indiquent les changements d’interlocuteurs), sans point d’interrogation, d’exclamation et avec une présence très parcimonieuse de points finaux. Car si la mort n’est plus, il n’y a plus de fin, donc plus de points. Tout cela est d’une logique implacable. Au début c’est déroutant.
Alors, me direz-vous, un texte, dans lequel les phrases s’éternisent et s’étalent parfois sur des pages et des pages, doit être très difficile à suivre ? Et je vous répondrai que c’est là qu’opère la magie de la littérature.
Le récit de José Saramago, malgré sa structure, ou peut-être grâce à elle, est d’une fluidité à couper le souffle. Les mots coulent de source, on se laisse porter avec délice par cette mélopée, comme on écouterait émerveillé un violoniste virtuose jouer une partition particulièrement difficile.
Et ce qui est plaisant, c’est que loin d’être pompeux, José Saramago s’amuse ; tout en enchaînant les doubles croches avec une grande maîtrise, il ponctue son texte d’une ironie mordante et d’un humour absolument délicieux.
Cela relève d’autant plus de l’exploit que pendant les deux tiers du récit, l’auteur n’offre pas à son lecteur de personnages auxquels il pourrait s’identifier. Il est un narrateur extérieur, un observateur qui décrit le marasme dans lequel tout un pays s’enfonce inexorablement. Il y a bien ça et là des personnages que l’on retrouve, mais plus pour leur statut (hommes de pouvoir, de religion, médias) que pour leur individualité.
Dans ces passages, l’auteur brosse une critique féroce des institutions et là encore c’est un véritable régal.
La dernière et troisième partie du roman marque une rupture dans la narration (d’ailleurs, le point est de retour).
Quittant la fable sociale et politique, Jose Saramago verse dans le récit fantastique et nous propose un pas de deux entre la mort incarnée et un violoncelliste.
Cette dernière partie, loin de me décevoir, a fini par me mettre à genoux : la respiration se fait plus douce et on pénètre l’intimité de ces deux êtres que tout devrait désunir et dont le destin a décidé de se jouer. Ce morceau de musique de chambre est un joyau, un roman dans le roman, un dernier éclat avant que le rideau ne retombe et que tout recommence.
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Pour finir, un peu d’humour noir :
« Allez, Madame la Grande Faucheuse, ce n’est pas le tout, mais au boulot ! Il y a du pain sur la planche (et entre)! Oui je sais, ce n’est pas une vie … ! »