LES DEUX MÉNÉTRIERS – JEAN RICHEPIN

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menestriers

La petite poésie macabre de la semaine …

Eventuellement à écouter ici Les deux ménestriers. Musique : Lucien Durand. Interprète : Édith Piaf

LES DEUX MÉNÉTRIERS – JEAN RICHEPIN

Sur de noirs chevaux sans mors,
Sans selle et sans étriers,
Par le royaume des morts
Vont deux blancs ménétriers.

Ils vont un galop d’enfer,
Tout en raclant leurs crincrins
Avec des archets de fer
Ayant des cheveux pour crins.

Au fracas des durs sabots,
Au rire des violons,
Les morts sortent des tombeaux !
Hop ! Dansons ! Cabriolons !

Et les trépassés, joyeux,
Suivent par bonds essoufflant
Avec une flamme aux yeux,
Rouge dans leurs crânes blancs.

Soudain les chevaux sans mors,
Sans selle et sans étriers,
Font halte et voici qu’aux morts
Parlent les ménétriers.

Le premier dit d’une voix
Sonnant comme un tympanon :
« Voulez-vous vivre deux fois ?
Venez ! la Vie est mon nom. »

Et tous, même les plus gueux,
Qui de rien n’avaient joui,
Tous, dans un élan fougueux,
Les morts ont répondu : « Oui ! »

Alors l’autre, d’une voix
Qui soupirait comme un cor,
Leur dit : « Pour vivre deux fois
Il vous faut aimer encore.

« Aimez donc ! Enlacez-vous ;
Venez, l’Amour est mon nom. »
Mais tous, même les plus fous,
Les morts ont répondu : « Non ! »

Tous, de leurs doigts décharnés,
Montrant leurs cœurs en lambeaux,
Avec des cris de damnés,
Sont rentrés dans leurs tombeaux.

Et les blancs ménétriers
Sur leurs noirs chevaux sans mors,
Sans selle et sans étriers,
Ont laissé dormir les morts.

Jean Richepin

Quelques mots sur Jean Richepin : né à Médéa (Algérie) le 4 février 1849 fils d’un médecin militaire originaire d’Ohis (Aisne), et mort à Paris le 12 décembre 1926, est un poète, romancier et auteur dramatique français.

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