Source article : The Guardian : http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/jun/09/french-public-debt-audit-illegitimate-working-class-internationalim
Traduction : Pierre-Marie Esposito
L’audit de la dette montre que l’austérité est politiquement motivée à favoriser les élites.
Es-ce qu’un nouvel internationalisme de la classe ouvrière plane dans l’air?
Comme l’histoire l’a montré, la France est capable du meilleur comme du pire, et souvent à travers de très courtes périodes de temps.
Au lendemain de la victoire du Front National de Marine Le Pen aux élections européennes, la France a apporté une contribution décisive quant à la réinvention d’une politique radicale pour le 21e siècle.
Ce jour-là, le comité pour l’audit citoyen de la dette publique (ND/PME : http://www.audit-citoyen.org/?p=6291), a publié un rapport de 30 pages sur la dette Française, ses origines et son évolution au cours des dernières décennies.
Le rapport a été écrit par un groupe d’experts en finances publiques, sous la coordination de Michel Husson l’un des meilleurs économistes, et critiques Français. Sa conclusion est simple:
60% de la dette publique française est illégitime !
Quiconque a suivi les journaux au cours des dernières années sait quelle importance représente la dette en fonction des décisions politiques contemporaine. Comme David Graeber (« La dette : 5000 ans d’histoire») entre autres l’a démontré, nous vivons dans des « debtocracies »( LA GOUVERNANCE PAR LA DETTE), et non pas des démocraties.
La dette, à l’encontre de la volonté populaire, est le principe directeur de nos sociétés, à travers les politiques d’austérités dévastatrices mises en œuvre au nom de leur réduction.
Voir cette video didactique et instructive : « Une guerre invisible contre la population l’esclavage moderne par une dette perpétuelle »
Une Guerre Invisible Contre la Population_L… par Darwin_Kayser
S’il était démontré que les dettes publiques soient en quelque sorte illégitime, que les citoyens aient le droit de demander un moratoire – et même l’annulation d’une partie de ces dettes – les implications politiques seraient énormes. Il est difficile de penser à un événement qui transformerait la vie sociale aussi profondément et rapidement que l’émancipation des sociétés aux contraintes de leurs dettes nationales. Et pourtant, c’est précisément ce que le rapport français vient de faire.
L’audit fait partie d’un mouvement plus large des audits de dettes populaires dans plus de 18 pays. L’équateur et le Brésil ont eu la leur, le plus ancien fut à l’initiative du gouvernement de Rafael Correa, et organisé par la société civile. Les mouvements sociaux européens ont également favorisé la mise en place d’audits de dettes, surtout dans les pays les plus durement touchés par la crise des dettes souveraines, comme la Grèce et l’Espagne. En Tunisie, le gouvernement post-révolutionnaire a déclaré que la dette prise au cours de la dictature de Ben Ali est une dette «odieuse»: et qu’elle n’aurait servi qu’à enrichir la clique au pouvoir, au lieu d’améliorer les conditions de vie du peuple.
Le rapport sur la dette française contient plusieurs constatations.
Principalement, la hausse de la dette de l’État dans les dernières décennies ne peut s’expliquer par une augmentation des dépenses publiques. L’argument néolibéral en faveur de politiques d’austérité affirme que la dette est due à des niveaux de dépenses publiques déraisonnables; que les sociétés de classes générales et populaires, en particulier, vivent au-dessus de leurs moyens.
C’est totalement faux.
Au cours des 30 dernières années, de 1978 à 2012 plus précisément, les dépenses publiques françaises ont en effet diminué de deux points de PIB. Qu’est-ce-qui, alors, explique l’accroissement de la dette publique? Tout d’abord, une baisse des recettes fiscales de l’État. Une réduction massive d’impôts pour les riches et les grandes entreprises ont été réalisées depuis 1980.
Conformément au mantra néolibéral, « le but de ces réductions est de favoriser l’investissement et l’emploi ». Eh bien, le chômage est à son plus haut niveau aujourd’hui, alors que les recettes fiscales ont diminué de cinq points de PIB.
Le deuxième facteur est l’augmentation des taux d’intérêts , en particulier dans les années 1990. Cette augmentation a favorisé les créanciers et les spéculateurs, au détriment des débiteurs. Si, au lieu d’emprunter sur les marchés financiers à des taux d’intérêt prohibitifs, l’État s’était lui-même financé en faisant appel à l’épargne des ménages et des banques, et emprunté à des taux historiquement normaux, la dette publique serait inférieure aux niveaux actuels de 29 points de PIB.
Les réductions d’impôts pour les riches et les taux d’intérêt augmentés furent des décisions politiques. Ce que l’audit montre, c’est que les déficits publics n’augmentent pas naturellement dans le cours normal de la vie sociale. Ils sont délibérément infligés à la société par les classes dominantes, afin de légitimer les politiques d’austérité qui permettront le transfert de valeur de la classe ouvrière pour les gens aisés.
Une conclusion étonnante de ce rapport est que personne ne sait réellement qui détient la dette française. Pour financer sa dette, l’État français, comme tout autre État, émet des obligations, qui sont achetées par un ensemble de banques autorisées. Ces banques vendent alors les obligations sur les marchés financiers mondiaux. Qui détient alors ces titres? C’est l’un des secrets les mieux gardés du monde. L’État paie les intérêts aux détenteurs, donc techniquement il devrait savoir qui en est le propriétaire. Pourtant, un processus d’ignorance organisée légalement interdit la divulgation d’identité des détenteurs d’obligations.
Cette organisation délibérée de l’ignorance – agnotology – dans les économies néolibérales rend volontairement les états impuissants, même si ils pouvaient avoir les moyens de savoir et d’agir. C’est ce qui permet l’évasion fiscale dans ses diverses formes – qui a coûté l’an dernier à environ 50 milliards d’EURO pour les sociétés européennes, et 17 milliards d’EURO pour la seule France.
Ainsi, l’audit sur la dette conclut, qu’environ 60% de la dette publique française est illégitime.
Une dette illégitime est une dette qui a grandi dans le service d’intérêts privés, et non le bien-être commun des personnes. Par conséquent, les Français ont le droit d’exiger un moratoire sur le paiement de la dette, et l’annulation d’au moins une partie de celui-ci. Il existe un précédent à cela: en 2008 l’Équateur a déclaré 70% de sa dette comme illégitime.
Le mouvement mondial naissant pour les audits de dettes pourrait bien contenir les germes d’un nouvel internationalisme – un internationalisme d’aujourd’hui – dans les classes populaires à travers le monde. Il s’agit, entre autres, d’une conséquence de la financiarisation. Ainsi les audits de dettes pourraient fournir un terrain fertile pour des formes renouvelées de mobilisations et de solidarité internationales.
Ce nouvel internationalisme pourrait commencer par trois étapes simples.
1) Des audits de dettes de tous les pays
Le point crucial est de démontrer, comme l’a fait l’audit français, que la dette est une construction politique, que cette situation ne se crée pas dans les sociétés parce que les classes sociales vivraient au dessus de leur moyens. C’est ce qui justifie cette appellation d’illégitime, et peut conduire à des procédures d’annulation. Les audits sur les dettes privées sont également possibles, comme l’artiste Chilien Francisco Tapia a récemment montré avec les prêts étudiants.
2) La divulgation de l’identité des détenteurs de la dette
Un répertoire des créanciers aux niveaux national et international pourrait être assemblé. Pas seulement comme un simple répertoire de lutte contre l’évasion fiscale. Mais il permettrait de révéler qu’alors que les conditions de vie de la majorité se détériorent, et qu’un petit groupe de personnes et d’institutions financières ont toujours profité des niveaux élevés d’endettement public. Par conséquent, cela révélerait la nature politique de la dette.
3) La socialisation du système bancaire
L’état doit cesser d’emprunter sur les marchés financiers, en se finançant lui-même à la place par les ménages et les banques, et à des taux d’intérêt raisonnables et contrôlables. Les banques elles-mêmes devraient être mises sous tutelle de comités citoyens, d’où serait rendu un audit de la dette en permanence. En bref, la dette devrait être démocratisée. Ceci, naturellement, est la partie la plus difficile, où les éléments de socialisme sont introduits au cœur du système. Pourtant, pour lutter contre la tyrannie de la dette sur tous les aspects de nos vies, il n’y a pas d’autres alternatives.