Non rassurez-vous, je ne suis pas déprimé… juste pensif.
La philosophie, l’art et les religions existent parce que la mort oblige les hommes à inventer des parades pour ne pas avoir à succomber et à trembler d’effroi devant elle. La mort emportera chacun de nous, elle a pris tous ceux qui nous ont précédés, elle n’épargnera pas les suivants. Cette vérité évidente travaille consciemment ou inconsciemment le corps et l’âme de tous depuis toujours.
Question : comment vivre avec un squelette en soi ?!!
Dès que les humains ont pris conscience des premiers cadavres à la vue des êtres aimés les orbites creuses et remplies de terre, le sourire planté de dents en farandole dans une mâchoire désarticulée dès cet instant la religion est née.
La religion s’est inventée et multipliée dans les esprits. De la simplicité animiste d’une poignée d’individus agenouillé devant le soleil couchant jusqu’au rhétoriques absconses de la théologie universitaire, en passant par les formes triviales des trois religions monothéistes, l’intelligence et l’imagination humaine tournent à plein régime pour répondre à cette simple question : comment vivre avec la mort, et malgré elle ?
Le christianisme notamment (mais pas seulement lui) a exploité ce filon de l’angoisse des hommes avec la passion et le vertige des grandes entreprises fascinées par les images négatives : le sacrifice du mouton, les abattoirs, les boucheries, les charniers, les équarrissages, les morgues, les ossuaires, les reliques, les catacombes. On ne brule pas les morts, on garde, odeurs de sang, de viscères, de pourriture, de cercueil et de moisi.
En plaçant son entreprise sous le signe du sang versé, de la crucifixion, du sacrifice de la mort, de l’expiation, le christianisme célèbre les pulsions mortifères, les entretient, les vénère. Son fond de commerce : la peur du néant, l’angoisse devant le cadavre rigide, la peur du défunt, les croque-morts !
L’humain se dit : c’est ça mon futur ? Il me faudra, moi aussi, connaître cette pâleur glacée, cette peau verdâtre, un jour je devrais mettre cet accoutrement endimanché et décalé. A mon tour je serais maladroitement maquillé, ridiculement fardé. Je suis brièvement vivant aujourd’hui, je devrais mourir demain et pour l’éternité ?
Quelle solution ?
Qu’on me présente à l’instant un mage, un magicien, un prêtre, un vendeur d’arrière monde, un prometteur de billevesée et je lui baise les mains sur le champ, je lui vends, que dis-je, je lui donne mon âme. Qu’il parle …
Et ils parlent, ces croque-morts de l’absolu, eux même terrorisés par cette aventure du néant.
Ils pérorent d’autant que leur propre incapacité à accepter la mort pour leur compte les transforme en gourous à fabriquer du salut, celui des autres dans l’espoir de gagner le leur.
Ils colportent les fables destinées à masquer la misère d’avoir à disparaître un jour.
Ils promettent : le ciel, le salut, des anges, un dieu, un jugement dernier, un paradis, un purgatoire, des enfers, un diable.
Ils dramatisent : un péché originel, un jardin d’Eden, une faute, une damnation, une punition.
Ils menacent : expiation, culpabilité, rachat.
Ils promettent : le salut, la vie éternelle, la résurrection, la félicité perpétuelle.
Ils enjolivent : paix, harmonie, bonheur, satiété…
Tous les clergés, quelles que soit les religions, s’appuient sur ces leviers, et depuis toujours. Les formes changent, les décors se modifient, mais le théâtre est le même.
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