• Archives de la Catégorie Littérature : poésies
  • PAUL ÉLUARD – PRINTEMPS

    Cliquer ici pour écouter.

    Musique : Barbara
    Interprète : Barbara

    Il y a sur la plage quelques flaques d’eau
    Il y a dans les bois des arbres fous d’oiseaux
    La neige fond dans la montagne
    Les branches des pommiers brillent de tant de fleurs
    Que le pâle soleil recule

    C’est par un soir d’hiver dans un monde très dur
    Que je vis ce printemps près de toi l’innocente
    Il n’y a pas de nuit pour nous
    Rien de ce qui périt n’a de prise sur toi
    Et tu ne veux pas avoir froid

    Notre printemps est un printemps qui a raison.


  • Jean ROBERTET – L’exposition des couleurs

    J. Robertet

    POESIE DU 15° SIECLE Jean ROBERTET (14??-1503)

    L’exposition des couleurs

    Le blanc
    Entre toutes couleurs suis la premiere,
    Humilité signiffie et simplesse,
    Dont le lys blanc est des fleurs la maistresse :
    Saincte Escripture en donne foy planiere.

    Bleue
    Et moy qui suis de coulleur celestine,
    Dont fin azur a son pris et valleur,
    Signiffiant loyaulté pour meilleur,
    Je doy au blanc par droit estre voisine.

    Rouge
    Rouge ne doit des autres couleurs moindre
    Soy repputer, car il monstre victoire,
    Pompe, orgueil, arrogant veyne gloire,
    Qui ne peult hault et bas ne veult descendre.

    Gris
    Je qui suis gris signiffie esperance,
    Coulleur moyenne de blanc et noir meslée ;
    Et soye seulle ou à autre assemblée,
    Le moyen tiens en commune actrempence.

    Vert
    A l’esmeraulde ressemble precieuse,
    Me delectant en parfaicte verdeur ;
    Mal seant suis avec noire couleur
    Et n’appartiens qu’à personne joyeuse.

    Jaulne
    De rouge et blanc entremeslez ensamble,
    Ma coulleur est ressemblant à soucie ;
    Qui joyra d’amours ne se soussie,
    Car il me peult porter se bon luy semble.

    Violé
    Je suis de noir et rouge composée
    Coulleur viollée ainsi m’appelle l’on.
    Vestu en fut le traistre Gannellon,
    Dont par le monde encor suis diffamée.

    Tanné
    Je porte ennuy en couverte pencée,
    Car ma coulleur est de sorte terrestre,
    De faitz et ditz qui doubteux peuvent estre,
    je suis changeant et de peu de durée.

    Noir
    Je signiffie dueil et merencolie,
    Desplaisance, tristesse, aspre courroux ;
    Obscure noire coulleur desplaist à tous ;
    Qui son cueur taint en moy fait grant folie.

    Riolépiolé
    Et moy qui suis riolé piolé,
    Broille meslé de rouge, noir et blanc,
    Comparé suis de sorte à Faulx Semblant,
    Qui a maint homme destruit et afollé.

    L’acteur
    Prince, qui veult porter coulleur diverse
    En devise, cecy luy peult valloir ;
    Chascun choisisse et preigne à son vouloir :
    Quant est à moy, j’ay prins la blanche et perse.


  • Maistre François Villon

    Villon 2
    Illustrations des Œuvres de Maistre François Villon
    Bois. Ambroise Vollard, éditeur à Paris 1918
    Imprimé sur les presses à bras d’Emile Fequet et par les soins de l’illustrateur Emile Bernard.

    BALLADE DES MENUS PROPOS

    Je congnois bien mouches en laict;
    Je congnois à la robe l’homme;
    Je congnois le beau temps du laid;
    Je congnois au pommier la pomme;
    Je congnois l’arbre à veoir la gomme;
    Je congnois quand tout est de mesme;
    Je congnois qui besongne ou chomme(1) ;
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.

    Je congnois pourpoinct au collet;
    Je congnois le moyne à la gonne(2) ;
    Je congnois le maistre au varlet;
    Je congnois au voyle la nonne;
    Je congnois quand pipeur jargonne;
    Je congnois folz nourriz de cresme;
    Je congnois le vin à la tonne;
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.

    Je congnois cheval du mulet;
    Je congnois leur charge et leur somme,
    Je congnois Bietrix et Bellet(3) ;
    Je congnois gect (4) qui nombre et somme,
    Je congnois vision en somme;
    Je congnois la faulte des Boesmes(5);
    Je congnois le pouvoir de Romme,
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.

    Prince, je congnois tout en somme;
    Je congnois coulorez et blesmes;
    Je congnois mort qui tout consomme;
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.

    (1) qui travaille ou chôme
    (2) tunique, froc
    (3) Béatrice et Isabelle
    (4) jeton servant à compter
    (5) bohémiens

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  • CHARLES BAUDELAIRE – À UNE MENDIANTE ROUSSE

    Baudelaire
    Un poème de CHARLES BAUDELAIRE

    Mis en musique et interprété par : La Tordue

    Pour écouter cliquez ici À une mendiante rousse

    À UNE MENDIANTE ROUSSE

    Blanche fille aux cheveux roux,
    Dont la robe par ses trous
    Laisse voir la pauvreté
    Et la beauté,

    Pour moi, poète chétif,
    Ton jeune corps maladif,
    Plein de taches de rousseur,
    A sa douceur.

    Tu portes plus galamment
    Qu’une reine de roman
    Ses cothurnes de velours
    Tes sabots lourds.

    Au lieu d’un haillon trop court,
    Qu’un superbe habit de cour
    Traîne à plis bruyants et longs
    Sur tes talons ;

    En place de bas troués,
    Que pour les yeux des roués
    Sur ta jambe un poignard d’or
    Reluise encor ;

    Que des nœuds mal attachés
    Dévoilent pour nos péchés
    Tes deux beaux seins, radieux
    Comme des yeux ;

    Que pour te déshabiller
    Tes bras se fassent prier
    Et chassent à coups mutins
    Les doigts lutins,

    Perles de la plus belle eau,
    Sonnets de maître Belleau
    Par tes galants mis aux fers
    Sans cesse offerts,

    Valetaille de rimeurs
    Te dédiant leurs primeurs
    Et contemplant ton soulier
    Sous l’esclaier,

    Maint page épris de hasard,
    Maint seigneur et maint Ronsard
    Épieraient pour le déduit
    Ton frais réduit !

    Tu compterais dans tes lits
    Plus de baisers que de lys
    Et rangerais sous tes lois
    Plus d’un Valois !

    — Cependant tu vas gueusant
    Quelque vieux débris gisant
    Au seuil de quelque Véfour
    De carrefour ;

    Tu vas lorgnant en dessous
    Des bijoux de vingt-neuf sous
    Dont je ne puis, oh ! pardon !
    Te faire don.

    Va donc, sans autre ornement,
    Parfum, perles, diamant,
    Que ta maigre nudité,
    Ô ma beauté !

    Baudelaire2


  • Encore une belle association VICTOR HUGO – BRASSENS – BARBARA

    Hugo2

    LA LÉGENDE DE LA NONNE

    Auteur : Victor Hugo
    Musique : Georges Brassens
    Interprète : Barbara

    Et pour écouter (version partielle):

    TEXTE COMPLET :

    Venez, vous dont l’œil étincelle,
    Pour entendre une histoire encor,
    Approchez : je vous dirai celle
    De doña Padilla del Flor.
    Elle était d’Alanje, où s’entassent
    Les collines et les halliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Il est des filles à Grenade,
    Il en est à Séville aussi,
    Qui, pour la moindre sérénade,
    A l’amour demandent merci ;
    Il en est que d’abord embrassent,
    Le soir, les hardis cavaliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Ce n’est pas sur ce ton frivole
    Qu’il faut parler de Padilla,
    Car jamais prunelle espagnole
    D’un feu plus chaste ne brilla ;
    Elle fuyait ceux qui pourchassent
    Les filles sous les peupliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Rien ne touchait ce cœur farouche,
    Ni doux soins, ni propos joyeux ;
    Pour un mot d’une belle bouche,
    Pour un signe de deux beaux yeux,
    On sait qu’il n’est rien que ne fassent
    Les seigneurs et les bacheliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Elle prit le voile à Tolède,
    Au grand soupir des gens du lieu,
    Comme si, quand on n’est pas laide,
    On avait droit d’épouser Dieu.
    Peu s’en fallut que ne pleurassent
    Les soudards et les écoliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Mais elle disait : « Loin du monde,
    Vivre et prier pour les méchants !
    Quel bonheur ! quelle paix profonde
    Dans la prière et dans les chants !
    Là, si les démons nous menacent,
    Les anges sont nos boucliers ! » –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Or, la belle à peine cloîtrée,
    Amour dans son cœur s’installa.
    Un fier brigand de la contrée
    Vint alors et dit : Me voilà !
    Quelquefois les brigands surpassent
    En audace les chevaliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Il était laid ; des traits austères,
    La main plus rude que le gant ;
    Mais l’amour a bien des mystères,
    Et la nonne aima le brigand.
    On voit des biches qui remplacent
    Leurs beaux cerfs par des sangliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Pour franchir la sainte limite,
    Pour approcher du saint couvent,
    Souvent le brigand d’un ermite
    Prenait le cilice, et souvent
    La cotte de maille où s’enchâssent
    Les croix noires des templiers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    La nonne osa, dit la chronique,
    Au brigand par l’enfer conduit,
    Aux pieds de sainte Véronique
    Donner un rendez-vous la nuit,
    A l’heure où les corbeaux croassent,
    Volant dans l’ombre par milliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Padilla voulait, anathème !
    Oubliant sa vie en un jour,
    Se livrer, dans l’église même,
    Sainte à l’enfer, vierge à l’amour,
    Jusqu’à l’heure pâle où s’effacent
    Les cierges sur les chandeliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Or, quand, dans la nef descendue,
    La nonne appela le bandit,
    Au lieu de la voix attendue,
    C’est la foudre qui répondit.
    Dieu voulut que ses coups frappassent
    Les amants par Satan liés. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Aujourd’hui, des fureurs divines
    Le pâtre enflammant ses récits,
    Vous montre au penchant des ravines
    Quelques tronçons de murs noircis,
    Deux clochers que les ans crevassent,
    Dont l’abri tuerait ses béliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Quand la nuit, du cloître gothique
    Brunissant les portails béants,
    Change à l’horizon fantastique
    Les deux clochers en deux géants ;
    A l’heure où les corbeaux croassent,
    Volant dans l’ombre par milliers… –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Une nonne, avec une lampe,
    Sort d’une cellule à minuit ;
    Le long des murs le spectre rampe,
    Un autre fantôme le suit ;
    Des chaînes sur leurs pieds s’amassent,
    De lourds carcans sont leurs colliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    La lampe vient, s’éclipse, brille,
    Sous les arceaux court se cacher,
    Puis tremble derrière une grille,
    Puis scintille au bout d’un clocher ;
    Et ses rayons dans l’ombre tracent
    Des fantômes multipliés. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Les deux spectres qu’un feu dévore,
    Traînant leur suaire en lambeaux,
    Se cherchent pour s’unir encore,
    En trébuchant sur des tombeaux ;
    Leurs pas aveugles s’embarrassent
    Dans les marches des escaliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Mais ce sont des escaliers fées,
    Qui sous eux s’embrouillent toujours ;
    L’un est aux caves étouffées,
    Quand l’autre marche au front des tours ;
    Sous leurs pieds, sans fin se déplacent
    Les étages et les paliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Elevant leurs voix sépulcrales,
    Se cherchant les bras étendus,
    Ils vont… Les magiques spirales
    Mêlent leur pas toujours perdus ;
    Ils s’épuisent et se harassent
    En détours, sans cesse oubliés. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    La pluie alors, à larges gouttes,
    Bat les vitraux frêles et froids ;
    Le vent siffle aux brèches des voûtes ;
    Une plainte sort des beffrois ;
    On entend des soupirs qui glacent,
    Des rires d’esprits familiers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Une voix faible, une voix haute,
    Disent : « Quand finiront les jours ?
    Ah ! nous souffrons par notre faute ;
    Mais l’éternité, c’est toujours !
    Là, les mains des heures se lassent,
    A retourner les sabliers… » –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    L’enfer, hélas ! ne peut s’éteindre.
    Toutes les nuits, dans ce manoir,
    Se cherchent sans jamais s’atteindre
    Une ombre blanche, un spectre noir,
    Jusqu’à l’heure pâle où s’effacent
    Les cierges sur les chandeliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Si, tremblant à ces bruits étranges,
    Quelque nocturne voyageur
    En se signant demande aux anges
    Sur qui sévit le Dieu vengeur,
    Des serpents de feu qui s’enlacent
    Tracent deux noms sur les piliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !

    Cette histoire de la novice,
    Saint Ildefonse, abbé, voulut
    Qu’afin de préserver du vice
    Les vierges qui font leur salut,
    Les prieures la racontassent
    Dans tous les couvent réguliers. –
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers !


  • Journée de la femme et poésies

    8 mars

    Deux poèmes (pour le prix d’un) dédiés aux femmes.

    • Claude BOUTON (1473-1556)

    Éloge des femmes (Poème du début du XVI° siècle)

    Nous disons que nous sommes saiges
    Et que les femmes sont fragiles ;
    Mais Dieu qui connoist nos couraiges
    Nous voyt de vertus fort debiles,
    Et en tous vices bien abiles
    Et nous peuvent femmes reprendre
    Mieulx que ne les sarions apprendre.

    Les femmes sont moult a priser
    Plus que les hommes sans doubtance :
    Sans vouloir nully mespriser,
    Et pour en donner cognoissance,
    En nous apert trop d’inconstance,
    Et ne sont nos vertus egales
    A leurs sept vertus cardinales.

    Premier parlons d’humilité :
    Contre le grand peché d’orgueil
    Elles ont doulceur et pité
    En maintien, en cueur et en oeuil,
    Et devant chascun dire veuil
    Qu’en elles n’est jamais fierté
    Que pour garder leur chasteté.

    Contre le péché d’avarice
    Nous fault parler de leur largesse ;
    Pour rebouter ce maulvais vice
    Elles font souvent dire messe,
    Et donnent aulmosnes sans cesse
    Et chandelles et offerende,
    Voyre sans ce qu’on leur demande.

    Elles ont l’art et la science
    A l’encontre du peché d’ire,
    Pour prendre tout en pacience,
    Leurs maulx, leurs mechiefs, leur martyre
    Qu’est plus grant qu’on ne saroit dire :
    Tout est pourté paciemment,
    Dont je m’esbahis bien comment.

    Amour et toute charité
    Contre les faulx pechés d’envies
    Elles ont en grant loyauté,
    Plaines de toutes courtoisies ;
    Et si sont de chescung amies,
    En gardant toute honnesteté
    Plus que nous sans desloyaulté.

    Contre le péché de paresse
    Bien peu de femmes sont oiseuses,
    Mais sont diligentes sans cesse,
    De tout bien faire curieuses,
    Et de toutes vertus soigneuses,
    Ayant vertu de diligence
    Contre vice de negligence.

    Contre vice de gloutonnie
    Femmes sont pleines de sobresse,
    D’abstinance et de junerie
    Dont fort fait a louer leur sesse*,
    Car peu ou nulle n’est yvresse :
    Yvres ne sont comme nous sommes,
    Mais que ne desplaise a nous hommes.

    Contre le péché de luxure
    Chasteté est d’elles gardee
    Avecq honneur qui tousjours dure,
    Loyer et bonne renommee,
    Soit josne fille ou mariée
    Pour une trouvee aux bordeaux,
    Homme y vont a grans tropeaulx.

    Les aeuvres de misericorde
    Par elles sont paracomplies,
    Amant paix, amour et concorde,
    De grant devotion garnies,
    Sans laisser vespres ne complies,
    Oraisons, n’oublier leurs Heures,
    Mais les dient a toutes heures.

    Elles ne jurent ne renient,
    Ne bourdent comme nous bourdons,
    Souvent ou toujours le voir** dient,
    Sans mentir comme nous mentons ;
    Plus de vertus que nous n’avons
    Et mains*** de vices que nous, hommes,
    Je m’en raporte aux bons preudhommes.

    (*) sexe
    (**) la vérité
    (***) moins

    Et le très beau texte contemporain d’Antoine POL

    • Par Antoine Pol 1888-1971

    Je veux dédier ce poème
    A toutes les femmes qu’on aime
    Pendant quelques instants secrets
    A celles qu’on connaît à peine
    Qu’un destin différent entraîne
    Et qu’on ne retrouve jamais

    A celle qu’on voit apparaître
    Une seconde à sa fenêtre
    Et qui, preste, s’évanouit
    Mais dont la svelte silhouette
    Est si gracieuse et fluette
    Qu’on en demeure épanoui

    A la compagne de voyage
    Dont les yeux, charmant paysage
    Font paraître court le chemin
    Qu’on est seul, peut-être, à comprendre
    Et qu’on laisse pourtant descendre
    Sans avoir effleuré sa main

    A la fine et souple valseuse
    Qui vous sembla triste et nerveuse
    Par une nuit de carnaval
    Qui voulut rester inconnue
    Et qui n’est jamais revenue
    Tournoyer dans un autre bal

    A celles qui sont déjà prises
    Et qui, vivant des heures grises
    Près d’un être trop différent
    Vous ont, inutile folie,
    Laissé voir la mélancolie
    D’un avenir désespérant

    A ces timides amoureuses
    Qui restèrent silencieuses
    Et portent encor votre deuil
    A celles qui s’en sont allées
    Loin de vous, tristes esseulées
    Victimes d’un stupide orgueil.

    Chères images aperçues
    Espérances d’un jour déçues
    Vous serez dans l’oubli demain
    Pour peu que le bonheur survienne
    Il est rare qu’on se souvienne
    Des épisodes du chemin

    Mais si l’on a manqué sa vie
    On songe avec un peu d’envie
    A tous ces bonheurs entrevus
    Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
    Aux coeurs qui doivent vous attendre
    Aux yeux qu’on n’a jamais revus

    Alors, aux soirs de lassitude
    Tout en peuplant sa solitude
    Des fantômes du souvenir
    On pleure les lèvres absentes
    De toutes ces belles passantes
    Que l’on n’a pas su retenir

    8 mars2

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  • Alphonse Allais – Complainte amoureuse adressée à la danseuse Jane Avril.

    A ALLAIS

    Complainte amoureuse.

    Oui, dès l’instant où je vous vis,
    Beauté féroce, vous me plûtes;
    De l’amour qu’en vos yeux je pris,
    Sur-le-champ vous vous aperçûtes.
    Mais de quel air froid vous reçûtes
    Tous les soins que pour vous je pris !
    Combien de soupirs je rendis !
    De quelle cruauté vous fûtes !
    Et quel profond dédain vous eûtes
    Pour les vœux que je vous offris !
    En vain, je priai, je gémis,
    Dans votre dureté vous sûtes
    Mépriser tout ce que je fis;
    Même un jour je vous écrivis
    Un billet tendre que vous lûtes
    Et je ne sais comment vous pûtes,
    De sang-froid voir ce que je mis.
    Ah! fallait-il que je vous visse
    Fallait-il que vous me plussiez,
    Qu’ingénument je vous le disse
    Qu’avec orgueil vous vous tussiez ;
    Fallait-il que je vous aimasse
    Que vous me désespérassiez
    Et qu’en vain je m’opiniâtrasse
    Et que je vous idolâtrasse
    Pour que vous m’assassinassiez !


  • Une belle association Federico Garcia Lorca et Paco Ibañez

    Lorca-Ibanez

    CANCIÓN DE JINETE

    Poème en espagnole de Federico Garcia Lorca
    Musique : Paco Ibáñez
    Interprète : Paco Ibáñez

    Pour l’écouter cliquer ici CANCIÓN DE JINETE

    En la luna negra
    de los bandoleros,
    cantan las espuelas.

    Caballito negro.
    ¿Dónde llevas tu jinete muerto?

    … Las duras espuelas
    del bandido inmóvil
    que perdió las riendas.

    Caballito frío.
    ¡Qué perfume de flor de cuchillo!

    En la luna negra,
    sangraba el costado
    de Sierra Morena.

    Caballito negro.
    ¿Dónde llevas tu jinete muerto?

    La noche espolea
    sus negros ijares
    clavándose estrellas.

    Caballito frío.
    ¡Qué perfume de flor de cuchillo!

    En la luna negra,
    ¡un grito ! y el cuerno
    largo de la hoguera.

    Caballito negro.
    ¿Dónde llevas tu jinete muerto?

    Traduction française d’André Belamich :

    Sous la lune noire
    des pillards de route
    tes éperons sonnent…

    Petit cheval noir
    où emportes-tu ton cavalier mort ?

    … Tes durs éperons,
    brigand immobile
    qui perdis les brides.

    Petit cheval froid
    quel est ce parfum de fleur de couteau ?

    Sous la lune noire
    la Sierra Morena
    a son flanc qui saigne.

    Petit cheval noir
    où emportes-tu ton cavalier mort ?

    Là-haut, la nuit plante
    à ses côtes noires
    des éperons d’astres.

    Petit cheval froid
    quel est ce parfum de fleur de couteau ?

    Sous la lune noire
    un cri ! et la corne
    d’un feu de montagne.

    Petit cheval noir
    où emportes-tu ton cavalier mort ?


  • LES DEUX MÉNÉTRIERS – JEAN RICHEPIN

    menestriers

    La petite poésie macabre de la semaine …

    Eventuellement à écouter ici Les deux ménestriers. Musique : Lucien Durand. Interprète : Édith Piaf

    LES DEUX MÉNÉTRIERS – JEAN RICHEPIN

    Sur de noirs chevaux sans mors,
    Sans selle et sans étriers,
    Par le royaume des morts
    Vont deux blancs ménétriers.

    Ils vont un galop d’enfer,
    Tout en raclant leurs crincrins
    Avec des archets de fer
    Ayant des cheveux pour crins.

    Au fracas des durs sabots,
    Au rire des violons,
    Les morts sortent des tombeaux !
    Hop ! Dansons ! Cabriolons !

    Et les trépassés, joyeux,
    Suivent par bonds essoufflant
    Avec une flamme aux yeux,
    Rouge dans leurs crânes blancs.

    Soudain les chevaux sans mors,
    Sans selle et sans étriers,
    Font halte et voici qu’aux morts
    Parlent les ménétriers.

    Le premier dit d’une voix
    Sonnant comme un tympanon :
    « Voulez-vous vivre deux fois ?
    Venez ! la Vie est mon nom. »

    Et tous, même les plus gueux,
    Qui de rien n’avaient joui,
    Tous, dans un élan fougueux,
    Les morts ont répondu : « Oui ! »

    Alors l’autre, d’une voix
    Qui soupirait comme un cor,
    Leur dit : « Pour vivre deux fois
    Il vous faut aimer encore.

    « Aimez donc ! Enlacez-vous ;
    Venez, l’Amour est mon nom. »
    Mais tous, même les plus fous,
    Les morts ont répondu : « Non ! »

    Tous, de leurs doigts décharnés,
    Montrant leurs cœurs en lambeaux,
    Avec des cris de damnés,
    Sont rentrés dans leurs tombeaux.

    Et les blancs ménétriers
    Sur leurs noirs chevaux sans mors,
    Sans selle et sans étriers,
    Ont laissé dormir les morts.

    Jean Richepin

    Quelques mots sur Jean Richepin : né à Médéa (Algérie) le 4 février 1849 fils d’un médecin militaire originaire d’Ohis (Aisne), et mort à Paris le 12 décembre 1926, est un poète, romancier et auteur dramatique français.

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  • ARTHUR RIMBAUD – LES EFFARÉS

    Poème dédié aux enfants qui n’ont pas eu de Noel.

    Les Effarés 1

    A écouter, éventuellement, mis en musique et chanté par Michel Murty LES EFFARES

    ARTHUR RIMBAUD •• LES EFFARÉS

    Noirs dans la neige et dans la brume,
    Au grand soupirail qui s’allume,
    Leurs culs en rond,

    À genoux, cinq petits, — misère ! —
    Regardent le boulanger faire
    Le lourd pain blond.

    Ils voient le fort bras blanc qui tourne
    La pâte grise, et qui l’enfourne
    Dans un trou clair.

    Ils écoutent le bon pain cuire.
    Le boulanger au gras sourire
    Grogne un vieil air.

    Ils sont blottis, pas un ne bouge,
    Au souffle du soupirail rouge,
    Chaud comme un sein.

    Quand, pour quelque médianoche,
    Façonné comme une brioche,
    On sort le pain,

    Quand, sous les poutres enfumées,
    Chantent les croûtes parfumées,
    Et les grillons,

    Que ce trou chaud souffle la vie
    Ils ont leur âme si ravie
    Sous leurs haillons,

    Ils se ressentent si bien vivre,
    Les pauvres Jésus pleins de givre,
    — Qu’ils sont là, tous,

    Collant leurs petits museaux roses
    Au treillage, grognant des choses,
    Entre les trous,

    Tout bêtes, faisant leur prière,
    Et repliés vers ces lumières
    Du ciel rouvert,

    — Si fort, qu’ils crèvent leur culotte,
    — Et que leur chemise tremblote
    Au vent d’hiver.

    les Effarés 2


  • Octavio PAZ

    Un autre extrait du très beau et long poème d’Octavio PAZ : « Pierre de Soleil »

    Octavio PAZ

    un saule de cristal, un peuplier d’eau sombre,
    un haut jet d’eau que le vent arque,
    un arbre bien planté mais dansant,
    un cheminement de rivière qui s’incurve,
    avance, recule, fait un détour
    et arrive toujours :
    un cheminement calme
    d’étoile ou de printemps sans hâte,
    une eau aux paupières fermées
    qui jaillit toute la nuit en prophéties,
    unanime présence en houle,
    vague après vague jusqu’à tout recouvrir,
    verte souveraineté sans crépuscule
    comme l’éblouissement des ailes
    quand elles s’ouvrent dans le milieu du ciel,

    un cheminement entre les épaisseurs
    des jours futurs et du funeste
    éclat du malheur comme un oiseau
    pétrifiant la forêt par son chant
    et les félicités imminentes
    entre les branches qui s’évanouissent,
    heures de lumière que grignotent déjà les oiseaux,
    présages qui s’échappent de la main,

    une présence comme un chant soudain,
    comme le vent chantant dans l’incendie,
    un regard qui retient en suspend
    le monde avec ses mers et ses montagnes,
    corps de lumière filtré par une agate,
    jambes de lumière, ventre de lumière, baies,
    roche solaire, corps couleur de nuage,
    couleur du jour rapide qui bondit,
    l’heure scintille et prend corps,
    le monde, oui, il est visible par ton corps,
    il est transparent grâce à ta transparence,
    (…)

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  • •• SAINT-OUEN’S BLUES – RAYMOND QUENEAU

    Quenaud

    Un petit poème de Raymond Queneau qui peut être écouté en musique …

    Musique : Paul Arrimi
    Interprète : Les Garçons de la rue

    SAINT-OUEN’S BLUES. Cliquer le titre pour écouter.

    Un arbre sur une branche
    Un oiseau criant dimanche
    L’herbe rase par ici

    Des godasses pas étanches
    Très peu d’atouts dans la manche
    Une sauce à l’oignon frit

    Un phono sur une planche
    Un accordéon qui flanche
    Des chats des rats des souris

    Un vélo coupé en tranches
    Un coup dur qui se déclenche
    Des voyous des malappris

    Un vague vive la Franche
    Par un Auvergnat d’Avranches
    Les Kabyles les Sidis

    La putain qui se déhanche
    Un passant séduit se penche
    C’est cent sous pour le chéri

    Des cheveux en avalanche
    Des yeux non c’est des pervenches
    Belles filles de Paris

    Ma tristesse qui s’épanche
    La fleur bleue ou bien la blanche
    Et mon cœur qu’en a tant pris

    Et mon cœur qu’en a tant pris
    À Saint-Ouen près de Paris

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  • « La mélancolie c’est le bonheur d’être triste ». Victor Hugo

    Hugo

    Guitare paru dans le recueil de poèmes Les Rayons et les ombres écrits après 1830 et que Victor Hugo publia en 1840.
    A écouter éventuellement, chanté par Georges Brassens

    Gastibelza, l’homme à la carabine,
    Chantait ainsi:
    ” Quelqu’un a-t-il connu doña Sabine ?
    Quelqu’un d’ici ?
    Dansez, chantez, villageois ! la nuit gagne
    Le mont Falù.
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou !

    Quelqu’un de vous a-t-il connu Sabine,
    Ma señora ?
    Sa mère était la vieille maugrabine
    D’Antequera
    Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne
    Comme un hibou … –
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou !

    Dansez, chantez! Des biens que l’heure envoie
    Il faut user.
    Elle était jeune et son œil plein de joie
    Faisait penser
    À ce vieillard qu’un enfant accompagne
    jetez un sou ! …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Vraiment, la reine eût près d’elle été laide
    Quand, vers le soir,
    Elle passait sur le pont de Tolède
    En corset noir.
    Un chapelet du temps de Charlemagne
    Ornait son cou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Le roi disait en la voyant si belle
    A son neveu : Pour un baiser, pour un sourire d’elle,
    Pour un cheveu,
    Infant don Ruy, je donnerais l’Espagne
    Et le Pérou !
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Je ne sais pas si j’aimais cette dame,
    Mais je sais bien
    Que pour avoir un regard de son âme,
    Moi, pauvre chien,
    J’aurais gaîment passé dix ans au bagne
    Sous le verrou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Un jour d’été que tout était lumière,
    Vie et douceur,
    Elle s’en vint jouer dans la rivière
    Avec sa sœur,
    Je vis le pied de sa jeune compagne
    Et son genou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre
    De ce canton,
    Je croyais voir la belle Cléopâtre,
    Qui, nous dit-on,
    Menait César, empereur d’Allemagne,
    Par le licou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe !
    Sabine, un jour,
    A tout vendu, sa beauté de colombe,
    Et son amour,
    Pour l’anneau d’or du comte de Saldagne,
    Pour un bijou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Sur ce vieux banc souffrez que je m’appuie,
    Car je suis las.
    Avec ce comte elle s’est donc enfuie !
    Enfuie, hélas !
    Par le chemin qui va vers la Cerdagne,
    Je ne sais où …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    Me rendra fou.

    Je la voyais passer de ma demeure,
    Et c’était tout.
    Mais à présent je m’ennuie à toute heure,
    Plein de dégoût,
    Rêveur oisif, l’âme dans la campagne,
    La dague au clou …
    Le vent qui vient à travers la montagne
    M’a rendu fou !

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  • Même les extraterrestres font de la poésie

    Houellebeck

    J’espère que Michel Houellebecq me pardonnera de le traiter d’extraterrestre,
    mais quelque part …

    Voici une poésie de lui que l’on peut écouter en musique en cliquant ici :HYPERMARCHE interprété et mis en musique par Bertrand Louis.

    HYPERMARCHE

    D’abord j’ai trébuché dans un congélateur.
    Je me suis mis à pleurer et j’avais un peu peur.
    Quelqu’un a grommelé que je cassais l’ambiance ;
    Pour avoir l’air normal j’ai repris mon avance.

    Des banlieusards sapés et au regard brutal
    Se croisaient lentement près des eaux minérales.
    Une rumeur de cirque et de demi-débauche
    Montait des rayonnages. Ma démarche était gauche.

    Je me suis écroulé au rayon des fromages ;
    Il y avait deux vieilles dames qui portaient des sardines.
    La première se retourne et dit à sa voisine :
    « C’est bien triste, quand même, un garçon de cet âge. »

    Et puis j’ai vu des pieds circonspects et très larges ;
    Il y avait un vendeur qui prenait des mesures.
    Beaucoup semblaient surpris par mes nouvelles chaussures ;
    Pour la dernière fois j’étais un peu en marge.

    Que dire de plus …?

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  • Pierre Ronsard

    Pierre Ronsard

    Pierre de Ronsard (1524-1585)

    « Prince des poètes et poète des princes », Pierre de Ronsard, est une figure majeure de la littérature poétique de la Renaissance. Toute sa poésie est un régal.

    Regardez, sous son air austère, comme il avait l’œil coquin …

    Amourette

    Or que l’hiver roidit la glace épaisse,
    Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,
    Non accroupis près le foyer cendreux,
    Mais aux plaisirs des combats amoureux.

    Assisons-nous sur cette molle couche.
    Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,
    Pressez mon col de vos bras dépliés,
    Et maintenant votre mère oubliez.

    Que de la dent votre tétin je morde,
    Que vos cheveux fil à fil je détorde.
    Il ne faut point, en si folâtres jeux,
    Comme au dimanche arranger ses cheveux.

    Approchez donc, tournez-moi votre joue.
    Vous rougissez ? Il faut que je me joue.
    Vous souriez : avez-vous point ouï
    Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?

    Je vous disais que la main j’allais mettre
    Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?
    Ne fuyez pas sans parler : je vois bien
    A vos regards que vous le voulez bien.

    Je vous connais en voyant votre mine.
    Je jure Amour que vous êtes si fine,
    Que pour mourir, de bouche ne diriez
    Qu’on vous baisât, bien que le désiriez ;

    Car toute fille, encor’ qu’elle ait envie
    Du jeu d’aimer, désire être ravie.
    Témoin en est Hélène, qui suivit
    D’un franc vouloir Pâris, qui la ravit.

    Je veux user d’une douce main-forte.
    Hà ! Vous tombez, vous faites jà la morte.
    Hà ! Quel plaisir dans le cœur je reçois !
    Sans vous baiser, vous moqueriez de moi

    En votre lit, quand vous seriez seulette.
    Or sus ! C’est fait, ma gentille brunette.
    Recommençons afin que nos beaux ans
    Soient réchauffés de combats si plaisants.


  • Plus de 500 ans et rien n’a changé

    Jean BOUCHET (1476-1557)

    Quand nous aurons bon temps

    Quand justiciers par équité
    Sans faveur procès jugeront,
    Quand en pure réalité
    Les avocats conseilleront,
    Quand procureurs ne mentiront,
    Et chacun sa foi tiendra,
    Quand pauvres gens ne plaideront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Prince, quand les gens s’aimeront
    Je ne sais quand il adviendra
    Et que offenser Dieu douteront,
    Alors le bon temps reviendra

    Quand prêtres sans iniquité
    En l’Église Dieu serviront,
    Quand en spiritualité,
    Simonie plus ne feront,
    Quand bénéfices ils n’auront,
    Quand plus ne se déguiseront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Prince, quand les gens s’aimeront
    Je ne sais quand il adviendra
    Et que offenser Dieu douteront,
    Alors le bon temps reviendra

    Quand ceux qui ont autorité
    Leurs sujets plus ne pilleront,
    Quand nobles, sans crudélité
    Et sans guerre, en paix viveront,
    Quand les marchands ne tromperont
    Et que le juste on soutiendra,
    Quand larrons au gibet iront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Prince, quand les gens s’aimeront
    Je ne sais quand il adviendra
    Et que offenser Dieu douteront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Un petit dernier pour aujourd’hui de Roger de COLLERYE (1470-1536) qui avait du mal à finir les fins de mois. Comme j’ai dit en titre : « Plus de 500 ans et rien n’a changé ».
    J’aime beaucoup la langue et l’orthographe du XV° siècle.

    Au pied du mur je me voy sans eschelle

    Au pied du mur je me voy sans eschelle,
    Plus je ne sçay de quel boys faire fleches,
    Faulte d’Argent m’en donne les empesches,
    Triste j’en suis, jà ne fault que le celle.

    Durant ce temps mon corps d’ennuy chancelle,
    Mes joues sont mesgres, palles et sèches,
    Au pied du mur je me voy sans eschelle,

    Si ayde n’ay du bon Dieu et de celle
    Devant lesquelz a deulx genoulx me fleches,
    De ma vie je ne donne troys pesches,
    Car de vertu j’ay moins qu’une estincelle
    Au pied du mur je me voy sans eschelle,


  • Ballade des seigneurs du temps jadis

    Villon

    Encore un « petit Villon » dans cette catégorie. Après, promis je n’y reviendrai pas tout de suite.
    Désolé, j’aime bien la poésie de Villon.

    Donc, vous vous souvenez de la Ballade des Dames du temps jadis :

    « Dites-moi où, n’en quel pays,
    Est Flora la belle Romaine,
    Archipiades, né Thaïs,
    Qui fut sa cousine germaine,( … ) » etc.

    Vous pouvez réécouter BRASSENS chanter cette ballade sur ce lien : « Ballade des Dames du temps jadis »

    Mais …. connaissez-vous « La Ballade des Seigneurs du temps jadis » ?
    Il existe une très belle version mise en musique par François Lancelot et interprété par l’excellent Marc Ogeret, spécialiste des chants révolutionnaires, anars, et communards entre autres. Je vous encourage à faire une petite recherche sur YouTube et écouter.

    Voici un lien pour La Ballade des Seigneurs du temps jadis qui, d’ailleurs donne accès à un site de poésies chantées très intéressant : « Ballade des Seigneurs du temps jadis »

    Qui plus, où est li tiers Calixte,
    
Dernier décédé de ce nom,
    
Qui quatre ans tint le papaliste,
    
Alphonse le roi d’Aragon,
    
Le gracieux duc de Bourbon,
    
Et Artus le duc de Bretagne,
    
Et Charles septième le bon ?
    
Mais où est le preux Charlemagne ?

    

Semblablement, le roi scotiste
    
Qui demi face ot, ce dit-on,
    
Vermeille comme une émastiste
    
Depuis le front jusqu’au menton,
    
Le roi de Chypre de renom,
    
Hélas ! et le bon roi d’Espagne
    
Duquel je ne sais pas le nom ?
    
Mais où est le preux Charlemagne ?

    

D’en plus parler je me désiste ;
    
Ce n’est que toute abusion.
    
Il n’est qui contre mort résiste
    
Ne qui treuve provision.
    
Encor fais une question :
    
Lancelot le roi de Behaygne,
    
Où est-il ? où est son tayon ?
    
Mais où est le preux Charlemagne ?

    

Où est Claquin, le bon Breton ?
    
Où le comte Dauphin d’Auvergne,
    
Et le bon feu duc d’Alençon ?
    
Mais où est le preux Charlemagne ?


  • François VILLON pour le plaisir des mots

    F Villon

    François de Montcorbier dit François VILLON (1431-1463)

    Ballade des menus propos

    Je congnois bien mouches en laict;
    Je congnois à la robe l’homme;
    Je congnois le beau temps du laid;
    Je congnois au pommier la pomme;
    Je congnois l’arbre à veoir la gomme;
    Je congnois quand tout est de mesme;
    Je congnois qui besongne ou chomme*;________* qui travaille ou chôme
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.
    Je congnois pourpoinct au collet;
    Je congnois le moyne à la gonne*; _______________* tunique, froc
    Je congnois le maistre au varlet;
    Je congnois au voyle la nonne;
    Je congnois quand pipeur jargonne;
    Je congnois folz nourriz de cresme;
    Je congnois le vin à la tonne;
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.
    Je congnois cheval du mulet;
    Je congnois leur charge et leur somme,
    Je congnois Bietrix et Bellet*; ___________________* Béatrice et Isabelle
    Je congnois gect* qui nombre et somme, ____________* jeton servant à compter
    Je congnois vision en somme;
    Je congnois la faulte des Boesmes;
    Je congnois le pouvoir de Romme,
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.
    Prince, je congnois tout en somme;
    Je congnois coulorez et blesmes;
    Je congnois mort qui tout consomme;
    Je congnois tout, fors que moy-mesme.











    _____________________________________________________________________________________________


  • Et quand la rime ne veut pas rimer

    La rime est quelques fois cruelle avec le poète.
    Les vers ont beau se terminer deux à deux par quatre à cinq lettres identiques et dans le bon ordre, ils ne riment pas !!!
    Alphonse ALLAIS nous en donne un petit exemple :

    L’homme insulté‚ qui se retient
    Est, à coup sûr, doux et patient.
    Par contre, l’homme à l’humeur aigre
    Gifle celui qui le dénigre.
    Moi, je n’agis qu’à bon escient :
    Mais, gare aux fâcheux qui me scient!
    Qu’ils soient de Château-l’Abbaye
    Ou nés à Saint-Germain-en-Laye,
    Je les rejoins d’où qu’ils émanent,
    Car mon courroux est permanent.
    Ces gens qui se croient des Shakespeares !
    Ou rois des îles Baléares!
    Qui, tels des condors, se soulèvent !
    Mieux vaut le moindre engoulevent.
    Par le diable, sans être un aigle,
    Je vois clair et ne suis pas bigle.
    Fi des idiots qui balbutient !
    Gloire au savant qui m’entretient!

    Et la encore plus fort : 22 lettres dans le bon ordre et ça ne rime toujours pas !!!

    Les gens de la maison Dubois, à Bône, scient,
    Dans la bonne saison, du bois à bon escient.








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  • Pablo Neruda

    pablo-neruda[1]

    Pablo Neruda, nom de plume de Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto, c’est un poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien, né le 12 juillet 1904 à Parral (province de Linares, Chili), mort le 23 septembre 1973 à Santiago du Chili.

    Voici un petit poème de Pablo Neruda ou tout est dit en quelques mots sur la vie.
    Et pour ceux qui en veulent plus cliquez ici Poèmes de Pablo Neruda Vous y trouverez des poèmes traduits en espagnol, en français et en anglais.

    Il meurt lentement

    Celui qui ne voyage pas,
    Celui qui ne lit pas,
    Celui qui n’écoute pas de musique,
    Celui qui ne sait pas trouver
    Grâce à ses yeux.

    Il meurt lentement

    Celui qui devient esclave de l’habitude,
    Refaisant tous les jours les mêmes chemins,
    Celui qui ne change jamais de repère,
    Ne se risque jamais à changer la couleur
    De ses vêtements
    Ou qui ne parle jamais à un inconnu.

    Il meurt lentement

    Celui qui évite la passion
    Et son tourbillon d’émotions
    Celles qui donnent la lumière dans les yeux
    Et réparent les cœurs blessés.

    Il meurt lentement

    Celui qui ne change pas de cap
    Lorsqu’il est malheureux
    Au travail ou en amour
    Celui qui ne prend pas de risques
    Pour réaliser ses rêves,
    Celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
    N’a fui les conseils sensés.

    Vis maintenant

    Risque-toi aujourd’hui
    Agis de suite
    Ne te laisse pas mourir lentement
    Ne te prive pas d’être heureux.








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  • Holorimes ? Vous avez dit holorimes ? Sont-ce des homophones?

    Une petite curiosité linguistique, comme je les aime.

    Les vers holorimes sont des vers entièrement homophones ; c’est-à-dire que la rime est constituée par la totalité du vers, et non pas seulement par une ou plusieurs syllabes identiques à la fin des vers comme dans la rime « classique ».
    Jean GOUDEZ a commît ce petit poème d’invitation à Alphonse ALLAIS. Les vers en gras riment entièrement deux à deux, de même que les vers en maigre.

    Invitation

    Je t’attends samedi, car Alphonse Allais, car
    A l’ombre, à Vaux, l’on gèle. Arrive. Oh ! La campagne !
    Allons – bravo ! – longer la rive au lac, en pagne ;
    Jette à temps, ça me dit, carafons à l’écart.
    Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
    L’attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
    Lait, saucisse, ombre, thé des poires et des pêches,
    Là, très puissant, un homme l’est tôt. L’art nourrit.
    Et, le verre à la main, – t’es-tu décidé ? Roule –
    Elle verra, là mainte étude s’y déroule,
    Ta muse étudiera les bêtes ou les gens !
    Comme aux dieux devisant, Hébé (c’est ma compagne)…
    Commode, yeux de vice hantés, baissés, m’accompagne…
    Amusé tu diras : « L’Hébé te soûle, hé ! Jean ! »

    Comme beaucoup de ces formes fondées sur des contraintes extrêmes, les poèmes composés d’holorimes tiennent en général plus de la prouesse que de la littérature.

    Cependant, Louise de Vilmorin, dans son recueil L’Alphabet des aveux, parvint à la synthèse du jeu et de l’émotion poètique :

    Étonnamment monotone et lasse
    Est ton âme en mon automne, hélas !

    …et Alphonse ALLAIS s’y colle avec humour bien sûr …

    Ah ! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer Dante.
    Hâve oiseau pondu loin de la vogue ennuyeuse (1).

    « La rime n’est pas très riche, mais j’aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité. » (commentaire d’Alphonse Allais)








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  • Octavio PAZ

    Plus sérieusement que le poème sur la turlute précédent, laquelle turlute comme chacun sait est une forme d’expression musicale folklorique qui consiste à chanter des onomatopées sur des airs traditionnels de violon.
    Voici, donc un extrait du très beau et long poème d’Octavio PAZ(1) : « Pierre de Soleil »
    Octavio PAZ

    […]tout se transfigure et devient sacré,
    c’est le centre du monde en chaque chambre,
    c’est la première nuit, le premier jour,
    le monde naît quand deux s’embrassent,
    goutte de lumière née des entrailles transparentes
    la chambre comme un fruit s’entrouvre
    ou explose comme un astre taciturne
    et les lois rongées par les rats,
    les grilles des banques et des prisons,
    les grilles de papier, les fils de fer barbelés,
    les timbres et les épines et les piquants,
    le sermon monocorde des armes,
    le scorpion mielleux avec un bonnet,
    le tigre avec un haut de forme, président
    du Club Végétarien et de la Croix Rouge,
    l’âne pédagogue, le crocodile
    devenu rédempteur, père des peuples,
    le Chef, le requin, l’architecte
    de l’avenir, le porc en uniforme,
    le fils béni de l’Eglise
    qui lave sa noire dentition
    avec de l’eau bénite et prend des cours
    d’anglais et de démocratie, les parois
    invisibles, les masques pourris
    qui divisent l’homme des hommes,
    contre l’homme de lui-même,
    ils s’abattent
    en un instant immense et nous entrapercevons
    notre unité perdue, la détresse
    d’être des humains, la gloire d’être des humains
    et de partager le pain, le soleil, la mort,
    l’oubli effrayant d’être des vivants ;[…]

    (1)Octavio PAZ (31 mars 1914 – 19 avril 1998) est un poète, essayiste et diplomate mexicain, lauréat du prix Nobel de littérature en 1990.







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  • Turlututu chapeau pointu

    FABLE AFRICAINE (de Xavier Caron)

    Une fermière du Rwanda,
    Qui était Hutu de surcroît,
    Quitta sa case et sa smala
    Pour le marché de Kampala.
    Elle voulait honorer sa tribu
    D’un beau chapon gras et dodu.
    Mais elle était peu fortunée,
    Et le marchand Tutsi, rusé,
    Refusa de baisser le prix
    Du chapon par elle choisi.

    Me le donnerais-tu,
    Dit la cliente Hutu,
    Contre une gâterie
    A voir, dit le vendeur,
    De cette gâterie quelle serait la valeur ?
    Vaudrait-elle un chapon ?
    Il m’en faudrait la preuve pour de bon.
    Aussitôt la bougresse s’enfouit sous le boubou,
    Et vite fait jaillir la sève du bambou.
    J’ai gagné le chapon, s’exclame l’innocente,
    La bouche encore pleine du produit de la vente.

    Que nenni lui répond le volailler acerbe.
    Tout comme la figure, le chapon tu as perdu,
    Car comme le dit notre si beau proverbe :
    « Turlute Hutu, chapon point eu ».

    Moralité (qui n’a rien a voir)
    « Bien qu’il soit homme de l’oie, le jars ne fréquente que rarement les
    tribunaux »


  • Les MUSES

    Dans la catégorie poésie, il faut déjà savoir qui sont les inspiratrices …

    Muses
    Les muses sont filles de Mnémosyne, personnification de la Mémoire et de Zeus et sont 9 sœurs, fruit de 9 nuits d’amour…

    Calliope, muse de la poésie épique, porte une couronne d’or, un livre, une tablette avec stylet, et une trompette ;

    Clio, muse du récit historique, porte une couronne de laurier, un cygne, un livre ou un rouleau, une tablette avec stylet, quelquefois une trompette.

    Erato, muse de la chorale lyrique, porte une couronne de myrte et de rose, un tambourin, une lyre, une viole et un cygne.

    Euterpe, muse de la musique, porte une flûte simple ou double et un autre instrument de musique (trompette)

    Melpomène, muse du théâtre tragique, porte une couronne de pampre de vigne, un cor, une épée, un masque tragique et un sceptre à ses pieds.

    Polymnie, muse de la rhétorique, porte une couronne de perles, un instrument de musique (souvent un orgue)

    Terpsichore, muse de la danse classique, porte une couronne de guirlande, un instrument de musique à cordes (viole, lyre par exemple)

    Thalie, muse du théâtre comique, porte une couronne de lierre, un instrument de musique (souvent viole), un masque comique et un rouleau.

    Uranie, muse de l’observation astronomique, porte une couronne d’étoiles, un compas et un globe.

    Vous avez remarqué que Calliope et Clio avaient déjà des tablettes! Nous n’avons rien inventé …


  • Poèmes cités dans www.saint-andre-d-olerargues.com

    IX° Siècle Ermold le Noir

    (en latin Ermoldus Nigellus)
    Au IX° siècle les écrits se font en latin. Le lecteur trouvera la traduction au chapitre 4 du site cité en titre, et au siècle correspondant.
    A remarquer que les vers ne riment pas, mais le poète a poussé l’élégance à faire que les premières et les dernières lettres soient identiques.

    Editor, aetherea splendes qui Patris in arcE
    Regnator mundi, fautorque, Redemptor, et auctoR
    Militibus dignis reseras qui regna poloruM
    Olim conclusos culpa parientis AvernO
    Luminis aeterni revehis qui Christe tribunaL
    David psalmianus praesaga carminis illuD
    Voce prius modulans, dudum miranda relatU
    Sacra futurorum qui prompsit dogmat vateS
    Confer rusticulo, quo possim Caesaris in hoC
    Eximii exiguo modulanter poscito ritE
    Carmine gesta loqui. Nymphas non deprecor istuC
    Insani quondam ut prisci fecere peritI
    Nec rogo Pierides, nec Phoebi tramite limeN
    Ingrediar capturus opem, nec Apollinis almI
    Talia cum facerem , quos vana peritia lusiT
    Horridus et teter depressit corda VehemotH
    Limina siderei potius peto luminis, ut SoL
    Verus justitiae dignetur dona precatU
    Dedere: namque mihi non flagito versibus hoc, quoD
    Omnia gestorum percurram pectine parvO
    In quibus et magni possunt cessare magistrI
    Caesaream flectant aciem, sed cantibus huc huC
    Incipiam celebrare. Fave modo, Christe, precantI
    Carmina, me exsilio pro quis nunc principis ab hoC
    Auxilium miserando levet, qui celsus in aulA
    Erigit abjectos, parcit peccantibus, atquE
    Spargit in immensum clari vice lumina soliS
    Alta regis Christi princeps qui maxime sceptrA
    Rex Ludovice pie, et pietatis munere CaesaR
    Insignis merit, praeclarus dogmate ChristI
    Suscipe gratanter, profert quae dona NigelluS
    Ausubus acta tamen qui tangere carmine vestrA
    Regis ob aeterni vestro qui pectore sempeR
    Mansit amor. Caesar famulum relevato cadenteM
    Altitonans Christus vos quo sublimet in aethrA.

    X° Siècle.
    Voici un poème de Saint Abbon de Fleury, moine bénédictin.

    Les écrits sont toujours en latin. Le lecteur trouvera la traduction au chapitre 4 du site cité en titre, et au siècle correspondant.

    O pedagoge sacer meritis
    Aymoine piis radians
    Digneque sidereo decore:
    Perrogitat matites liniens
    Ore pedes digitosque tuos,
    Cernuus Abbo tuus jugiter
    Sume botros, tibi quos tua fert
    Vitis adhuc virides; rubeant
    Imbre tuo radiisque tuis,
    Continuo seris atque fodis
    Tu, celebrande, putas et eam
    Nuncque cupis, niteat pluviis
    Alterius, jubare alterius?
    Dulce cui tribuas rogo mel.
    Nam tibi palmes et uva manet.
    Floruit has mihi Parisius
    Nobilis urbs, veneranda nimis,
    Bella precans sua ferre tibi.
    Agnita cujus ut orbe vago
    Sepiat ethera palma volans,
    Doxaque regnet ubique micans,
    Ore tuo gradiente super.

    XI° siècle.
    Et voici un extrait de La Chanson de Roland vers 1090

    Non en occitan mais en langue d’oïl.
    La Chanson de Roland, poème épique de 4002 vers décasyllabiques assonancés (10 pieds et rimes de même son). Ce poème est considéré comme le premier de son genre et comme le chef-d’œuvre des chansons de geste. Il appartient au Cycle du Roi (c.-à-d. de Charlemagne). L’auteur présumé, Turold (en latin Turoldus), est inconnu. Le poème se trouve dans le manuscrit 23 du fonds Digby de la Bibliothèque Bodléienne à Oxford.
    Il est l’œuvre d’un scribe anglo-normand et reproduit le français qui se parlait en Angleterre vers 1170.

    Carles li reis nostre emperere magnes
    Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne.
    Tresqu’en la mer cunquist la tere altaigne.
    N’i ad castel, ki devant lui remaigne,
    Mur ne citet n’i est remes a fraindre,
    Fors Sarraguce, ki est en une muntaigne,
    Li reis Marsilie la tient, ki Deu nen aimet,
    Mahumet sert, e Apollin recleimet,
    Nes poet guarder que mals ne l’i ateignet.
    Li reis Marsilie esteit en Sarraguce,
    Alez en est en un verger suz l’umbre,
    Sur un perrun de marbre bloi se culched,
    Envirun lui plus de vint milie humes.
    Il en apelet e ses dux e ses cuntes:
    Oez seignurs, quel pecchet nus encumbret,
    Li empereres Carles de France dulce
    En cest pais nos est venuz cunfundre.
    Jo nen ai ost, qui bataille li dunne,
    Ne n’ai tel gent ki la sue derumpet.
    Cunseilez mei cume mi saive hume,
    Si me guarisez e de mort et de hunte.
    N’i ad paien, ki un sul mot respundet,
    Fors Blancandrins de Castel de Valfunde.

    Et que disait-on en languedocien au XII° Siècle ?

    Texte d’un auteur inconnu racontant la vie du seigneur de Saint Antonin, vicomte,qui aimait une gentille dame, femme du seigneur de Penne d’Albigeois.

    Lo vescoms de Sant Antoni si fo del evescat de Caortz, senhor de Sant Antonin e vescoms, et amava una gentil domna, moiller del senhor de Pena d’Albiges, d’un castel ric e for. La domna gentilz e bela et vatens, e mot prezada, e mot honrada, etel mot valens e enseignatz, e bon trobaire. Et avia nom Ramon Jordan ; la domna era apellada la Vescomtessa de Pena. L’amors dels dos si fo ses tota mesura, taut se volgren de ben l’us à l’autre.

    XIII° siècle. Un poème du poète Rutebeuf (en ancien français Rustebuef),

    A écouter pour le plaisir sur YOU TUBE (copier/coller le lien)
    Chanté par Léo Ferré : http://www.youtube.com/watch?v=27PU0qYEMpU »
    Chanté par Joan Baez : http://www.youtube.com/watch?v=Tte6cqTzz9U

    La complainte Rutebeuf (extrait)

    Li mal ne sevent seul venir;
    Tout ce m’estoit a avenir,
    S’est avenu.
    Que sont mi ami devenu
    Que j’avoie si pres tenu
    Et tant amé ?
    Je cuit qu’il sont trop cler semé;
    Il ne furent pas bien femé,
    Si ont failli.
    Itel ami m’ont mal bailli,
    C’onques, tant com Diex m’assailli
    En maint costé,
    N’en vi un seul en mon osté.
    Je cuit li vens les a osté,
    L’amor est morte.

    Ce sont ami que vens enporte,
    Et il ventoit devant ma porte
    Ses enporta.
    C’onques nus ne m’en conforta
    Ne du sien riens ne m’aporta.
    Ice m’aprent
    Qui auques a, privé le prent;
    Més cil trop a tart se repent
    Qui trop a mis
    De son avoir pour fere amis,
    Qu’il nes trueve entiers ne demis
    A lui secorre.
    Or lerai donc fortune corre
    Si entendrai a moi rescorre
    Si jel puis fere.

    XIV/XV° siècle. Je ne résiste pas au plaisir de citer l’excellent François VILLON

    L’explication détaillée du texte est sur le site.
    Et pourquoi pas écouter le non moins excellent BRASSENS : https://www.youtube.com/watch?v=8vfnhMJii7o

    Ballade des Dames du temps jadis

    Dites-moi où, n’en quel pays,
    Est Flora la belle Romaine,
    Archipiades, ne Thaïs,
    Qui fut sa cousine germaine,
    Echo, parlant quant bruit on mène
    Dessus rivière ou sus estan,
    Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
    Mais où sont les neiges d’antan ?

    Où est la très sage Héloïs,
    Pour qui fut chastré et puis moine
    Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
    Pour son amour eut cette essoine.
    Semblablement, où est la roine
    Qui commanda que Buridan
    Fût jeté en un sac en Seine ?
    Mais où sont les neiges d’antan ?

    La roine Blanche comme un lis
    Qui chantait à voix de sirène,
    Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,
    Haramburgis qui tint le Maine,
    Et Jeanne, la bonne Lorraine
    Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ;
    Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
    Mais où sont les neiges d’antan ?

    Prince, n’enquerrez de semaine
    Où elles sont, ne de cet an,
    Que ce refrain ne vous remaine :
    Mais où sont les neiges d’antan ?

    XVI° Deux poésies : Jean BOUCHET et Clément MAROT

    …de Jean BOUCHET

    Quand nous aurons bon temps

    Quand justiciers par équité
    Sans faveur procès jugeront,
    Quand en pure réalité
    Les avocats conseilleront,
    Quand procureurs ne mentiront,
    Et chacun sa foi tiendra,
    Quand pauvres gens ne plaideront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Quand prêtres sans iniquité
    En l’Église Dieu serviront,
    Quand en spiritualité,
    Simonie plus ne feront,
    Quand bénéfices ils n’auront,
    Quand plus ne se déguiseront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Quand ceux qui ont autorité
    Leurs sujets plus ne pilleront,
    Quand nobles, sans crudélité
    Et sans guerre, en paix viveront,
    Quand les marchands ne tromperont
    Et que le juste on soutiendra,
    Quand larrons au gibet iront,
    Alors le bon temps reviendra.
    Refrain
    Prince, quand les gens s’aimeront
    (Je ne sais quand il adviendra)
    Et que offenser Dieu douteront,
    Alors le bon temps reviendra.

    Clément MAROT

    A une Damoyselle malade
    Ma Mignonne
    Je vous donne
    Le bon jour.
    Le sejour
    C’est prison :
    Guerison
    Recouvrez,
    Puis ouvrez
    Vostre porte,
    Et qu’on sorte
    Vistement :
    Car Clement
    Le vous mande.
    Va friande
    De ta bouche,
    Qui se couche
    En danger
    Pour manger
    Confitures :
    Si tu dures
    Trop malade,
    Couleur fade
    Tu prendras,
    Et perdras
    L’embonpoint.
    Dieu te doint
    Santé bonne
    Ma Mignonne.

    XVII° Siècle. Deux poésies : Jean AUVRAY (sans pitié) et Isaac de BENSERADE (coquin)

    … Jean AUVRAY

    À une laide amoureuse de l’auteur

    Un œil de chat-huant, des cheveux serpentins,
    Une trogne rustique à prendre des copies,
    Un nez qui au mois d’août distille les roupies,
    Un ris sardonien à charmer les lutins,

    Une bouche en triangle, où comme à ces mâtins
    Hors œuvre on voit pousser de longues dents pourries,
    Une lèvre chancreuse à baiser les furies,
    Un front plâtré de fard, un boisseau de tétins,

    Sont tes rares beautés, exécrable Thessale.
    Et tu veux que je t’aime, et la flamme loyale
    De ma belle maîtresse en ton sein étouffer ?

    Non, non, dans le bordeau va jouer de ton reste ;
    Tes venimeux baisers me donneraient la peste,
    Et croirais embrasser une rage d’Enfer.

    Isaac de BENSERADE

    Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne

    Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
    Duquel on ne saurait estimer la valeur ;
    S’il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
    Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.

    Il n’est mal d’estomac, colique ni migraine
    Qu’il ne puisse guérir, mais surtout il a l’heur
    Que contre l’accident de la pâle couleur
    Il porte avecque soi la drogue souveraine.

    Une dame le vit dans ma main, l’autre jour
    Qui me dit que c’était un perroquet d’amour,
    Et dès lors m’en offrit bon nombre de monnoie

    Des autres perroquets il diffère pourtant :
    Car eux fuient la cage, et lui, il l’aime tant
    Qu’il n’y est jamais mis qu’il n’en pleure de joie.

    XVIII° Siècle. Encore un coquin l’abbé de Latteignant

    Le mot et la chose

    Madame, quel est votre mot
    Et sur le mot et sur la chose ?
    On vous a dit souvent le mot,
    On vous a souvent fait la chose.
    Ainsi de la chose et du mot
    Pouvez-vous dire quelque chose,
    Et je gagerai que le mot
    Vous plaît beaucoup moins que la chose !

    Pour moi, voici quel est mon mot
    Et sur le mot et sur la chose :
    J’avouerai que j’aime le mot,
    J’avouerai que j’aime la chose :
    Mais, c’est la chose avec le mot
    Et c’est le mot avec la chose ;
    Autrement, la chose et le mot
    A mes yeux seraient peu de chose.

    Je crois même, en faveur du mot,
    Pouvoir ajouter quelque chose,
    Une chose qui donne au mot
    Tout l’avantage sur la chose :
    C’est qu’on peut dire encore le mot
    Alors qu’on ne peut plus la chose…
    Et, si peu que vaille le mot,
    Enfin, c’est toujours quelque chose!..

    De là, je conclus que le mot
    Doit être mis avant la chose,
    Que l’on doit n’ajouter un mot
    Qu’autant que l’on peut quelque chose
    Et que, pour le temps où le mot
    Viendra seul, hélas, sans la chose,
    Il faut se réserver le mot
    Pour se consoler de la chose!
    Pour vous, je crois qu’avec le mot
    Vous voyez toujours autre chose :
    Vous dites si gaiement le mot,
    Vous méritez si bien la chose,
    Que, pour vous la chose et le mot
    Doivent être la même chose ;
    Et, vous n’avez pas dit le mot,
    Qu’on est déjà prêt à la chose.

    Mais, quand je vous dis que le mot
    Vaut pour moi bien plus que la chose
    Vous devez me croire, à ce mot,
    Bien peu connaisseur en la chose
    Eh bien, voici mon dernier mot
    Et sur le mot et sur la chose :
    Madame, passez-moi le mot …
    Et je vous passerai la chose !

    Comment parlait-on au XIX° Siècle. GEORGE SAND & ALFRED DE MUSSET

    Échange de textes des deux auteurs.
    De George Sand à Alfred de Musset… à lire … puis à relire une ligne sur deux…

    Cher ami,
    Je suis toute émue de vous dire que j’ai
    bien compris l’autre jour que vous aviez
    toujours une envie folle de me faire
    danser. Je garde le souvenir de votre
    baiser et je voudrais bien que ce soit
    une preuve que je puisse être aimée
    par vous. Je suis prête à montrer mon
    affection toute désintéressée et sans cal-
    cul, et si vous voulez me voir ainsi
    vous dévoiler, sans artifice, mon âme
    toute nue, daignez me faire visite,
    nous causerons et en amis franchement
    je vous prouverai que je suis la femme
    sincère, capable de vous offrir l’affection
    la plus profonde, comme la plus étroite
    amitié, en un mot : la meilleure épouse
    dont vous puissiez rêver. Puisque votre
    âme est libre, pensez que l’abandon où je
    vis est bien long, bien dur et souvent bien
    insupportable. Mon chagrin est trop
    gros. Accourez bien vite et venez me le
    faire oublier. À vous je veux me sou-
    mettre entièrement.
    Votre poupée

    D’Alfred de Musset à George Sand « …et en alexandrins, s’il vous plait ! » Seuls les premiers mots comptent.

    Quand je mets à vos pieds un éternel hommage,
    Voulez-vous qu’un instant je change de visage ?
    Vous avez capturé les sentiments d’un cœur
    Que pour vous adorer forma le créateur.
    Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
    Couche sur le papier ce que je n’ose dire.
    Avec soin de mes vers lisez les premiers mots,
    Vous saurez quel remède apporter à mes maux.

    De George Sand à Alfred de Musset

    Cette insigne faveur que votre cœur réclame
    Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.


  • N’est pas François qui veut

    Je pense que l’on soit pape ou président, n’est pas François qui veut !

    J’ai toujours eu un faible pour celui qui suit:

    • François VILLON (1431-?)

    Ballade des proverbes
    Tant gratte chèvre que mal gît,
    Tant va le pot à l’eau qu’il brise,
    Tant chauffe-on le fer qu’il rougit,
    Tant le maille-on qu’il se débrise,
    Tant vaut l’homme comme on le prise,
    Tant s’élogne-il qu’il n’en souvient,
    Tant mauvais est qu’on le déprise,
    Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

    Tant parle-on qu’on se contredit,
    Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
    Tant promet-on qu’on s’en dédit,
    Tant prie-on que chose est acquise,
    Tant plus est chère et plus est quise,
    Tant la quiert-on qu’on y parvient,
    Tant plus commune et moins requise,
    Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

    Tant aime-on chien qu’on le nourrit,
    Tant court chanson qu’elle est apprise,
    Tant garde-on fruit qu’il se pourrit,
    Tant bat-on place qu’elle est prise,
    Tant tarde-on que faut l’entreprise,
    Tant se hâte-on que mal advient,
    Tant embrasse-on que chet la prise,
    Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

    Tant raille-on que plus on n’en rit,
    Tant dépent-on qu’on n’a chemise,
    Tant est-on franc que tout y frit,
    Tant vaut « Tiens ! » que chose promise,
    Tant aime-on Dieu qu’on fuit l’Eglise,
    Tant donne-on qu’emprunter convient,
    Tant tourne vent qu’il chet en bise,
    Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

    Prince, tant vit fol qu’il s’avise,
    Tant va-il qu’après il revient,
    Tant le mate-on qu’il se ravise,
    Tant crie-l’on Noël qu’il vient